Frank PROTO (né en 1941)

Il existe comme ça des compositeurs dont on n'entend jamais parler et desquels on entend encore moins leur musique, des compositeurs qui ont composé tout au long de leur vie une oeuvre riche en musique de chambre, symphonies, concertos...pas même un lointain son de cloche...Certains auront bien sûr la phrase qui tue, genre: << Si on n'entend jamais parler de ces compositeurs c'est peut-être parce qu'ils ne méritent pas que l'on parle d'eux! >> C'est souvent vrai si nous focalisons sur ceux que nous qualifions sous un commun accord de génie, parce qu'en toutes époques, il y a toujours eu des compositeurs plus géniaux et populaires que d'autres qui font ou ont fait de l'ombre à tous ceux dotés d'un talent plus humble. Frank Proto n'est indiscutablement pas le plus connu des compositeurs américains et sans doute n'est-il pas le plus admiré non plus. Pourtant, lorsque je suis tombé sur un disque regroupant trois oeuvres du compositeur pour contrebasse et orchestre avec comme soliste François Rabbath, je n'ai pas hésité une seule seconde. Si le nom du compositeur ne m'évoquait rien, celui de l'interprète me parla davantage. Il a toujours s'agit selon moi d'un musicien d'envergure, d'un excellent contrebassiste qui avait ouvert des voix et des possibilités expressives nouvelles à son instrument. D'autre part, je n'avais jamais rien écouté de lui, ni ses propres compositions, ni ses interprétations de Bach, Vivaldi et Legrand. Ce disque était l'occasion pour moi de découvrir les talents reconnus de ce contrebassiste d'exception tout en découvrant ceux, éventuels, du compositeur américain Frank Proto. De plus le cd est édité par un label que j'apprécie particulièrement pour avoir permis à la musique personnelle d'Oswald D'Andréa d'exister sur disque, autre compositeur dont j'apprécie la musique et pourtant si rare, si discret...mais c'est une autre histoire déjà évoquée sur ce forum...

La première oeuvre du cd est une pièce concertante pour contrebasse et orchestre qui s'articule autour de thèmes tirés du fameux Carmen de Bizet et qui porte le titre A Carmen Fantasy. L'oeuvre se découpe en 4 morceaux (ou mouvements) avec un court prélude et un court interlude. La musique est fort plaisante et on remarque très vite le timbre très singulier de la contrebasse selon le jeu superbe de François Rabbath. Toute la composition met en valeur le soliste autour des thèmes de Bizet et l'orchestration et arrangements de Proto sont plutôt sobres et classiques. Le mouvement final évolue autour du thème le plus célèbre de l'opéra et Rabbath s'y donne à coeur-joie. Toutefois, je préfère nettement les deux oeuvres suivantes bien plus personnelles et moins classiques; Fantasy et Concerto n°2, toutes deux pour contrebasse et orchestre. Dans ces deux compositions, on ne ressent pas seulement une influence classique mais le compositeur y explore aussi des éléments de musique pop et du jazz. J'ai été notamment frappé, et plus principalement dans les passages mouvementés, par un style musico-cinématographique qui illuminait les polars hollywoodiens des années 70, une sorte de croisement musical entre Alex North, Jerry Goldsmith et Lalo Schifrin. On imagine assez facilement Steve Macqueen ou Clint Eastwood mater du méchant dans les rues de San Francisco! François Rabbath excelle autant dans ces passages rapides qu'un certain cinéma américain aurait sûrement aimé s'accaparer - il y a notamment une ballade presque nonchalante dans le second mouvement du second concerto qui est particulièrement séduisante - que dans les passages lents, je pense encore au Concerto n°2 (troisième mouvement) où Rabbath extirpe des sonorités incroyables de son instrument, des sonorités qui m'étaient inédites jusqu'à aujourd'hui, créant avec des effets tout aussi originaux de l'orchestre, une ambiance onirique et étrange. Sublime!

Biographie:

Frank Proto est un compositeur et contrebassiste américain né le 18 juillet 1941 à Brooklyn, New York. Il étudia les rudiments de la contrebasse auprès de Fred Zimmermann et David Walter. Il décroche en 1966 un Master de l'Ecole de Musique de Manhattan. Compositeur autodidacte, Proto a joué et composé pour une vaste diversité d'ensembles et de musiciens tels que Dave Brubeck, Eddie Daniels, Duke Ellington, Cleo Laine, Sherrill Milnes, Gerry Mulligan, Roberta Peters, François Rabbath, Ruggiero Ricci, Doc Severinsen, Richard Stoltzmann... De 1966 à 1997, Frank Proto a oeuvré comme contrebassiste et compositeur en résidence à l'Orchestre Symphonique de Cincinnati. Cet orchestre a créé plus de 25 nouvelles oeuvres, notamment des concertos et des pièces en solo pour violon, violoncelle, contrebasse, clarinette, trompette, tuba et percussions. Il a également composé et arrangé de la musique pour de jeunes musiciens et des concerts pop, incluant Casey at the bat, un conte folklorique américain pour narrateur et orchestre et un Carmen Fantasy pour trompette et orchestre. Entre 1982 et 1989, Proto travaille sur le système synclavier (un des premiers synthétiseurs numériques), compose des oeuvres dans des genres différents à la fois avec et pour ce système, sa plus brillante performance étant le Dialogue pour synclavier et orchestre, commandée par le "Cincinnati Symphony Orchestra". Il sera joué aussi sous la direction de Michaël Gielen. Sa musique de chambre La mort de Désdémone pour contrebasse et synclavier est devenue une pièce de choix dans le répertoire de la contrebasse. Frank Proto est l'un des compositeurs les plus prolifiques de la musique pour contrebasse. Sa production comprend 7 oeuvres avec orchestre et plus de 30 en solo et de musique de chambre. Il a également composé beaucoup pour le violon, l'alto et la clarinette. En 2007, son CD/DVD BRIDGES - Eddie Daniels joue la musique de Frank Proto, consistant en une série d'oeuvres écrites pour clarinette virtuose. Eddie Daniels a été nominé pour un Grammy Award. Une longue collaboration avec le contrebassiste franco-syrien François Rabbath aboutit à la création de cinq oeuvres pour contrebasse et orchestre.