par Adrien De Vries
Témoignage émouvant sur Igor et sa "tribu", ce livre-album, dont la narration commencée par le fils du compositeur, Théodore, est reprise jusqu'en 1940 par son épouse, Denise, est surtout l'hommage d'une femme à une autre femme. Denise y précise le portrait de sa belle-mère, Catherine, l'épouse du compositeur, qui fut le pivot et l'âme de la famille, jusqu'en 1940...
C'est une immersion fidèle et sans voyeurisme "au coeur du Foyer" Strawinsky.
"Qui pourra dire, essayer de dire, ce que fut le Foyer Strawinsky?", s'interroge l'initiatrice de ce superbe album de famille... Epouse de Théodore Strawinsky, le fils d'Igor, qui fut peintre, Denise Strawinsky, reprend le fil d'une chronique commencée par son mari jusqu'en 1920, et qu'elle poursuit jusqu'en 1940.
A la question posée, la narratrice et conteuse apporte une réponse aussi réussie qu'émouvante.
Sa contribution s'inscrit naturellement, dans la suite de l'oeuvre première de son mari. Au regard des documents collectés, en particulier des remarquables photographies où paraissent le compositeur et son épouse, Catherine, leurs enfants, et leurs descendants, se précise le regard tendre d'une femme qui a côtoyé l'un des compositeurs les plus attachants du début du siècle: en poses saisies sur le vif d'un quotidien dévoilé avec pudeur, se lisent les relations, les attentions, et presque l'intimité admirable d'un créateur de premier plan, et de sa "tribu": son épouse, leurs quatre enfants. Denise tout en restituant la chaleur du Foyer Strawinsky, rend aussi hommage à l'épouse, "la douce, le pivot, la racine plantée en terre" : Catherine Strawinsky.
Suivant l'identité des deux personnalités qui ont permis la réalisation de l'album familial, qui au final, constitue un témoignage capital sur le musicien, deux parties se succèdent. La "Chronique de Théodore Strawinsky" dédiée à ses parents, de 1906 à 1920; puis celle de son épouse, Denise, sans sous-titre, de 1920 à 1940.
Complément aux photos, les annotations éclairent et précisent la vie de la famille; une saga qui collectionne des lieux différents, sur le sol russe, puis à l'étranger, jusqu'en Suisse, et surtout la France, à partir de 1920. Outre les superbes photos du couple Strawinsky, plusieurs autres images restent fascinantes, dont un superbe dessin que Catherine fait de son époux, au crayon, en 1912.
Autant d'images désormais nécessaires pour mieux connaître le compositeur fécond, auteur en l'espace de trois ans (1910-1913), de trois chefs-d'oeuvre "qui vont le placer au faîte de la renommée: L'Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du Printemps."
Les rencontres artistiques et les personnalités qui collaborent avec le père sont également présentes: Jean Cocteau, "l'oncle Serge" (Diaghilev)... comme la fidèle "niania", "la bonne chère Bertha", cet être nécessaire à toute famille russe qui lui "donnait une certaine rondeur", selon les propres mots de Théodore, qui offre ainsi un témoignage sur son père et son enfance, dont le texte est paru avant l'ouvrage complété par Denise en 1973.
1920 marque un tournant capital de l'histoire de la famille Strawinsky : c'est l'installation en France. Celle d'une famille nombreuse qui compte une quinzaine de personnes. Le fil de la chronique rédigée par Denise témoigne de l'intérêt de la famille pour la peinture. Igor fréquente Picasso et Derain; de l'éclosion des dons de peintre chez Théodore, et pianistiques, pour son frère Soulima. C'est aussi le récit de la double liaison d'Igor qui aime une autre femme que la mère de ses enfants...D'ailleurs, Igor épousera en secondes noces, Vera Soudeikina aux Etats-Unis en 1940.
C'est le moment où à Paris, Strawinsky fréquente le salon des Polignac, se lie d'amitié avec Poulenc et Milhaud. Les événements douloureux de la Seconde Guerre mondiale n'épargnent pas la famille. Tout est dit sans maquillage, mais avec tact et style. Cette seconde chronique est un hommage à l'épouse Catherine, et s'interrompt avec le décès de celle-ci, en 1940.
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