Bruno Monsaingeon, "Glenn Gould, au-delà du temps" (2006)
par Carter Chris Humphray
Bruno Monsaigeon, proche de l'artiste canadien, dresse un portrait poétique de Glenn Gould, un être traversé par la perfection musicale. Le film part en quête d'un artiste exceptionnel, lui-même en quête d'un absolu. Mi-fiction, mi- documentaire, "Glenn Gould, au-delà du temps" est une lecture personnelle sur un pianiste devenu légendaire.
Etre en quête de Gould. Le film documentaire conçu par Bruno Monsaingeon s'interroge sur les traces laissées par le pianiste canadien, sur la signification de son oeuvre d'interprète, sur la genèse d'un génie musicien : il emprunte le sillon tracée par ses proches ou par les témoins dont le lien avec l'artiste est demeuré intact. Construit comme un roadmovie, la course aux souvenirs, la route empruntée par le narrateur, -Gould lui-même-, racontent une vie, une carrière, (par la voix de Matthieu Amalric), une vision tout entière dédiée à la musique, qui s'est forgée peu à peu son monde ; un pays qui est "au-delà du temps" et dont les quelques facettes, ici dévoilées, livrent plusieurs clés.
Variations sur un seul homme, portrait esquissé d'un être forcément à part : le réalisateur et violoniste, Bruno Monsaingeon, proche de l'artiste avec lequel il a produit de nombreux films, signe là, d'abord, une oeuvre personnelle. Après avoir surtout filmé l'interprète, le réalisateur n'avait pas encore eu le temps d'une assimilation distanciée et globale sur l'ensemble du travail d'un artiste qu'il a très bien connu.
Le propos restitue en filigrane le parcours et la formation musicale du futur pianiste : son initiation par sa mère, organiste. Puis la passion de l'instrument, surtout la quête du son. D'où très vite, le travail sur ses propres enregistrements. Quête esthétique sur le jeu, l'approche, la musique, le compositeur abordé (pas seulement Bach d'ailleurs). C'est la figure d'un "homme-musique", inervé en profondeur par le phénomène et la résonance de la musique. "Gould était possédé par la musique. A vrai dire, je ne connais personne qui l'ait aimé d'une passion aussi dévorante", précise Bruno Monsaigeon.
Parfaitement monté, alternant témoignages, plans en voiture et voix off, avec cette image récurrente des mains et leurs mitaines de laine noir, posées sur le volant de "Long Fellow", sa Lincoln, noire elle aussi, mais aussi documents de l'époque où Gould paraît dans son rôle pédagogique, expliquant les oeuvres et son jeu, le film offre un compromis entre oeuvre documentaire et écriture de fiction. Pour les besoins de son évocation, le réalisateur a souhaité retrouvé un modèle de voiture proche de celle du pianiste afin de tourner les séquences sur les routes du Nord Canadien, au bord des rives du lac Supérieur, à la beauté naturelle désormais évocatrice de Gould qui aimat s'y ressourcer pour travailler, méditer, réfléchir.
Monsaingeon approfondit la relation de l'interprète sur sa démarche : il interroge la quête de Gould. Pourquoi revenir toujours et encore sur cet air de Bach? Pourquoi travailler telle phrase de Beethoven et Brahms, Hindemith et Krenek? D'autant que dès 1964, le pianiste préfère le studio au concert publique. Pour se concentrer davantage sur son jeu et travailler la nuit, surtout la nuit. S'identifier corps et âme au compositeur, transcender l'acte d'interprétation en acte de composition... Il y a du génie assurément à parfaire sa propre approche, à basculer dans une solitude artistique qui confine à l'égocentrisme. C'est pourquoi en voulant nous présenter l'homme, tout autant que l'artiste, le portrait de Monsaingeon rétablit notre perception. L'idéal qui motive la démarche, la quête d'excellence et de dépassement, l'ascèse qui se sont imposés à cet homme peu ordinaire, suscitent l'admiration.
Le rapport que Gould nous enseigne est une expérience personnelle : c'est pourquoi ici, chaque témoignage et parole recueillie, exprime le lien individuel qu'a tissé au fil des années, chaque fan à l'écoute de son interprète fétiche. Un être traversée par la perfection musicale, qui aimait certainement la mystification permise par la télévision et le concert enregistré, se découvre ; il correspond parfaitement à ce qu'en a dit le réalisateur : « Mais pour le plupart des gens, il y a chez Gould une dimension philosophique, quelque chose qui dépasse de loin la sphère musicale. Les problèmes qu’il pose sont d’ordre universel. C’est un phénomène christique. » Ni plus ni moins. Soulignons en complément, le livret d'accompagnement, parfaitement documenté, comprenant un long texte d'introduction de Bruno Monsaingeon sur le film.