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 Le mystère de la mort d'Albéric Magnard

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joachim
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joachim

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Le mystère de la mort d'Albéric Magnard Empty
MessageSujet: Le mystère de la mort d'Albéric Magnard   Le mystère de la mort d'Albéric Magnard Empty2023-08-04, 11:21

Source : https://www.rtbf.be/article/le-compositeur-justicier-alberic-magnard-mort-en-defendant-son-manoir-contre-larmee-allemande-au-debut-de-la-grande-guerre-11235835#

Albéric Magnard est né en 1865 dans une famille assez modeste, mais qui ne le restera pas longtemps : l’ascension sociale de son père, Francis Magnard, est fulgurante : il aura commencé comme petit agent des Contributions pour se retrouver, en fin de carrière, rédacteur en chef du Figaro, devenant par là même l’un des personnages les plus importants sinon les plus redoutés du Tout-Paris. Par ailleurs, Albéric Magnard va aussi devoir compter avec un événement terrible : alors qu’il n’a que 4 ans, sa mère, en proie à des accès de folie, se défenestre par un soir d’avril 1869. C’est évidemment une blessure terrible pour le compositeur, qui tiendra d’ailleurs longtemps son père pour responsable de cette tragédie. C’est donc dans la musique que Magnard va noyer son chagrin et sa solitude, avec – il faut le dire – une réelle admiration pour l’œuvre de Richard Wagner, qu’il a découverte à Bayreuth à l’âge de 21 ans. Il en gardera le goût pour le gigantisme musical germanique, à tel point qu’on surnommera Magnard le "Bruckner français". Magnard écrit beaucoup, il écrit vite, mais il n’est jamais content, jamais satisfait : "Tout ce que j’écris me dégoûte de plus en plus, dit-il, et je souffre toujours plus cruellement de l’écart fantastique qui existe entre ce que je fais et ce que je voudrais faire." Mais cette rédemption par le travail, et surtout cette capacité à sortir de sa condition à force de persévérance, Albéric Magnard va la cultiver toute sa vie, il dira d’ailleurs "L’artiste qui ne puise pas sa force dans l’abnégation est, ou près de sa mort, ou près du déshonneur." Courage et honneur, voilà deux valeurs que cultivaient Albéric Magnard, et qu’il va mener jusqu’à leur plus haut degré par cette matinée du 3 septembre 1914, face à pas moins d’une cinquantaine de soldats allemands qui encerclait sa maison. " Je crois que le triomphe de certaines idées", avait-il un jour écrit, "vaut bien la suppression de notre tranquillité et même de notre vie ".

Albéric Magnard était un français de son temps, animé par une certaine amertume suite à la défaite de la guerre de 1870, mais il n’en était pas pour autant un farouche anti-allemand. Déjà, il aimait Wagner, et puis il avait même épousé en 1896 une jeune femme, Julia Creton, qui n’avait à lui offrir aucune dot, sinon un petit garçon qu’elle avait eu d’une union précédente, une union passagère, de surcroît avec un voyageur de commerce allemand. Albéric Magnard avait élevé ce petit garçon, ce petit René, comme son fils. Non, c’est plutôt l’injustice que Magnard avait en horreur. Et l’injustice, il la voyait partout : dans l’insuccès de ses œuvres bien sûr, mais aussi dans l’évolution de la musique vers des formes nouvelles : l’impressionnisme musical d’un Debussy, par exemple. Pour lui, la liberté naissait de la discipline et non l’inverse. Quand son père, rédacteur en chef au Figaro, lui donnera l’opportunité d’y devenir critique, il ne mâchera pas ses mots. Et il n’oubliera personne. Pas même les éditeurs à qui il reprochera d’oublier un peu vite les gloires passées de la musique française. C’est par exemple suite à l’un de ses papiers incendiaires que sera lancée une révision de l’œuvre complète de Jean-Philippe Rameau. Et Magnard était d’ailleurs à ce point remonté contre les éditeurs qu’il avait pris la décision – plutôt désastreuse – de s’éditer lui-même. Il faisait imprimer à ses frais ses œuvres qu’il distribuait lui-même par voie postale ou ferroviaire. On verra plus tard à quel point cette autoédition ne jouera pas en sa faveur. "Magnard rêvait de continuer tout ce qu’autour de lui on ne rêvait que de supplanter" dira-t-on, n’empêche, il suivra jusqu’au bout sa croisade contre ce qu’il considérait comme de l’injustice. Et un événement va être pour lui le symbole de ce combat. Cet événement, c’est l’Affaire Dreyfus, en 1898.

En grand défenseur de la Justice, Albéric Magnard va être profondément affecté par l’Affaire Dreyfus. Par la condamnation de l’officier en première instance – bien entendu, en 1894 – mais aussi et surtout par la confirmation de sa culpabilité en appel et par l’acquittement de celui qui s’avérera être le réel coupable de l’affaire, le commandant Ferdinand Estherazy. Bien sûr, Albéric Magnard s’affichera comme un défenseur de la première heure d’Alfred Dreyfus. Le jour même de la parution du célèbre "J’accuse" d’Emile Zola, il adressera à l’écrivain ceci : "Bravo Monsieur, vous êtes un crâne ! En vous, l’homme vaut l’artiste. Votre courage est une consolation pour les esprits indépendants. Il y a donc encore des Français qui préfèrent la justice à leur tranquillité et qui ne tremblent pas à l’idée d’une guerre étrangère. Marchez, vous n’êtes pas seul. On se fera tuer au besoin." Voilà jusqu’où Albéric Magnard était prêt à aller par conviction et par honneur. Mais Magnard ne s’arrête pas aux mots : en 1899, quand Dreyfus est jugé pour la 2e fois donc, le verdict est… surprenant. L’officier est cette fois reconnu coupable avec circonstances atténuantes et sa peine est réduite à 10 ans de réclusion. Dreyfus, épuisé, avait accepté la sentence et renoncé à un pourvoi en cassation contre la promesse d’une grâce présidentielle. Pour les partisans de Dreyfus, les Dreyfusards comme on les appelait, c’était la gifle de trop. Et Albéric Magnard, scandalisé, avait immédiatement démissionné de son grade de sous-lieutenant (qu’il avait acquis pendant son service militaire), mais il l’avait fait en des termes si injurieux que le courrier était même remonté jusqu’au ministre de la Guerre. Résultat des courses, sa démission sera refusée, il devra la renouveler un an plus tard, mais cette fois dans des termes plus policés et plus officiels. C’est à cette époque-là que Magnard va composer une des oeuvres-phare de son répertoire, qui dénonce tous les "dénis de justice" comme il les appelait, ça va s’appeler "L’Hymne à la Justice", il la dédiera au verrier Emile Gallé, aussi engagé que lui dans l’affaire Dreyfus.

A la mort de son père, Albéric Magnard va perdre beaucoup. Non seulement un père avec lequel, malgré les petites misères qui les avaient séparés, l’entente était bonne, mais il perd aussi l’un de ses plus précieux soutiens. En tant que rédacteur en chef du Figaro, Francis Magnard, le père, avait toujours protégé son fils et laissé toute liberté à sa verve incendiaire, violente, pour ne pas dire parfois franchement grossière : pour vous donner une idée, sous la plume du critique Albéric Magnard, la pianiste Blanche Selva était une " grosse vache auvergnate ", le compositeur Reynaldo Hahn était un " aimable enculé ", Edouard Colonne (le fondateur des Concerts Colonne) un " Hébreu qui donne la nausée " sans compter tous ceux qu’il aura traité de " pourceaux qui ne comprennent rien à Beethoven " ou de " brutes épaisses au-dessous de tout ". Bref, la verdeur tranchée de son langage lui aura valu beaucoup d’ennemis. A la mort de son père, les colonnes du Figaro lui sont définitivement fermées, mais surtout, on ne le programme plus nulle part ! Son nom disparaît des affiches des concerts officiels : il n’y apparaît que 2 fois en 10 ans (entre 1894 et 1904). Cela explique peut-être une partie de l’oubli dans lequel il a fini par tomber, mais surtout sa décision de quitter Paris cette même année, au mois d’août 1904. A son ami Guy Ropartz, il écrira : " Poursuivi par les maisons à 6 et 7 étages, et à quadruples dômes en casque de prussien, écœuré par les concierges, les domestiques, les sixièmes, etc. J’ai lâché Paris, sans trompette, et me suis installé définitivement dans un village de l’Oise. " Ce village, c’est le village de Baron-sur-Oise, dans lequel il s’installe avec son épouse, ses deux filles (Eve et Ondine) et puis aussi René, son beau-fils, qu’il avait recueilli et adopté tout petit. Magnard va vivre là 10 années plutôt heureuses, mais totalement coupé du reste du monde, une existence essentiellement consacrée à la composition et à sa famille.

Le Manoir des Fontaines, c’est comme ça que s’appelait la propriété acquise par Albéric Magnard en 1904 et dans laquelle le compositeur va mener une vie des plus solitaires – si l’on excepte sa famille bien entendu. Il va y travailler d’arrache-pied, un Trio, un opéra, une Sonate pour violoncelle et piano, mais surtout sa 4e et dernière symphonie. C’est bien simple, en 10 ans, il ne sortira que 4 fois de son domaine, pour aller diriger à l’étranger l’une de ses symphonies ou pour assister à la représentation de l’une ou l’autre de ses œuvres. Albéric Magnard ne fait plus qu’un avec son manoir, dans une sorte d’unité harmonieuse et supérieure, et ce lieu-là, il le considère sans doute presque comme le sanctuaire de ses valeurs suprêmes que sont Justice et la Beauté.
Ce sont peut-être ces valeurs-là qu’il a senties en danger à l’heure où des soldats voulaient investir sa maison, et c’est peut-être ce qui l’a motivé à tenir tête, crânement, désespérément, à tout un détachement de uhlans, armé de son seul pistolet chargé de seulement 6 balles. Magnard aura été seul, comme il l’avait finalement toujours voulu : lui qui fuyait désormais les manifestations officielles, les comités, et ignorait superbement les invitations que lui adressait de temps en temps la capitale. Dans son village, même, il se tenait farouchement à l’écart des autochtones. Pas question de se mêler aux villageois, ni de nouer le moindre contact avec ses voisins. C’est peut-être ce qui aura poussé certains habitants de Baron-sur-Oise à le dénoncer, à l’heure du passage des troupes allemandes dans le village.

Quand la guerre éclate, début août 1914, Albéric Magnard est, comme tous les français, plutôt optimiste. Il est d’ailleurs bien résolu à s’engager sous les drapeaux, comme beaucoup de compositeurs, d’ailleurs : Maurice Ravel, André Caplet, Déodat de Séverac, Albert Roussel, tous auront suivi leur fibre patriotique. Mais Magnard est déjà trop vieux, il a 49 ans et le Ministère de la Guerre refuse sa candidature. Le compositeur insistera un temps avant de déclarer " Tant pis… On reprendra l’Alsace-Lorraine sans moi ". Mais à la fin août 1914, on est loin d’avoir repris quoi que ce soit. C’est même plutôt l’inverse qui se produit : les Allemands sont déjà à Compiègne (à peine à 40 kilomètres de Baron-sur-Oise). Pour Magnard, il est temps de mettre sa famille en sécurité. Le 29 août, il envoie à Paris sa femme et ses deux filles, gardant avec lui son beau-fils René. Le compositeur ne s’en est jamais caché, ni à sa femme, ni à ses amis : si le manoir est attaqué, il le défendra. En montrant son pistolet, il déclarera même : "Il y a ici 6 balles, 5 pour les Allemands, et une pour moi." Cinq jours plus tard, il allait devoir effectivement compter ses coups, sous le feu de l’ennemi.

Au matin du 3 septembre, les troupes allemandes traversent Baron-sur-Oise, et c’est par milliers que les soldats longent la propriété d’Albéric Magnard, sans se soucier de cette imposante bâtisse aux portes barricadées et aux volets fermés, qui laissaient croire que les propriétaires avaient fui. Ce matin-là, René, le beau-fils était parti à la pêche de bonne heure à l’étang du fond du parc, tandis qu’Albéric attendait là, calfeutré chez lui, que l’orage passe. Mais l’orage s’est attardé : un détachement de 50 cavaliers a fait halte dans la cour du manoir. René, qui est revenu de l’étang est pris à partie. Il a beau dire qu’il n’est que le jardinier, on le ligote à un arbre et on somme l’occupant du manoir d’en sortir. Magnard est, lui, retranché dans la salle de bain, derrière une fenêtre qui donne juste au-dessus de la porte d’entrée. Et puis tout s’emballe, un tir de sommation allemand, Magnard pense qu’on vient d’exécuter son beau-fils et il tire par la fenêtre, à 5 reprises, tuant un caporal et blessant un sergent à l’épaule. Le reste du détachement, de rage, fait feu en rafale sur la maison. Puis plus rien. Dans le village, on s’affole, d’autant que quelques officiers, furieux se sont rendus chez le seul notable du coin (faute de rencontrer le maire ou les conseillers municipaux, tous prudemment disparus) pour lui signaler la présence d’un franc-tireur dans le Manoir des Fontaines. A l’époque, on ne transigeait pas : en guise de représailles, le village serait incendié et tous ses habitants fusillés. Après négociation, on parviendra tout de même à limiter les dégâts, si je puis dire : seul le coupable sera fusillé et la maison sera brûlée. A midi 45, après avoir bien sûr pillé le rez-de-chaussée, les soldats mettent le feu au manoir où aucun signe de vie n’a été décelé durant le reste la matinée. Et vers 15 heures, alors que le feu ravage le bâtiment, on entend un dernier un coup de feu. Un officier dira : "Il a choisi la meilleure part", supposant que le compositeur, cerné par les flammes, a mis fin à ses jours.

Dans l’incendie du Manoir des Fontaines, la musique a perdu un grand compositeur, mais elle a aussi perdu un certain nombre de grandes œuvres : souvenez-vous, Albéric Magnard éditait ses propres œuvres (quand il les éditait) et il renonçait à déposer ses partitions chez le moindre marchand de musique.
On ne les trouvait que chez lui, avec le risque que cela comporte en cas d’accident. Ont ainsi péri dans les flammes 2 des 3 actes de son opéra Guercœur, tous les exemplaires de son opéra Yolande, mais aussi son ultime composition, 12 poèmes mis en musique, et dont on n’entendra jamais la moindre note. Le manoir brûlera pendant plusieurs jours, et l’on annoncera la mort du compositeur seulement 18 jours plus tard. Toute la France s’en émouvra – même si, en apprenant la mort d’Albéric Magnard, bien des gens auront tout simplement appris son existence. Mais l’émotion sera quand même assez grande pour donner à une rue de Paris le nom du compositeur disparu. Ironie du sort, pour ainsi faire, on a dû débaptiser cette rue, qui portait jusque-là le nom de rue… Richard Wagner ! Lui qui aimait tant Wagner, le voilà qui prenait sa place.

On a longtemps cru que, dans un dernier geste de folie sublime, Albéric Magnard, se sentant perdu, avait retourné l’arme contre lui. En réalité, l’examen du pistolet retrouvé dans les ruines va montrer qu’il contenait six douilles sans balle, cinq étaient percutées, la sixième, non. Ça veut dire que la dernière balle n’a donc pas été tirée et qu’elle a probablement explosé sous l’effet de la chaleur. C’était ça, la dernière déflagration entendue vers 15 heures. Il est vraisemblable qu’Albéric Magnard ait été tué plus tôt dans la matinée, lors des premiers échanges de tirs, et donc bien avant l’incendie. Quelques jours plus tard, sans connaître encore le sort de leur père, ses filles lui avaient écrit " Mon cher Petit Père, Voilà 15 jours que nous sommes parties et que nous n’avons pas encore reçu de tes nouvelles […] J’espère que tu es en bonne santé, ainsi que René. As-tu vu les Allemands à Baron ? Nous espérons que non." A cette heure-là, Albéric Magnard avait déjà tracé la double barre finale de son existence, un peu comme il l’avait fait sans doute le matin même du 3 septembre sur la partition d’une mélodie dont le propos sonne étrangement familier avec son tragique destin, un peu comme s’il avait mis en temps réel des notes sur ce qui lui arrivait, écoutez plutôt : "Moi je veux du silence, dit le poème, il y va de ma vie. Et je m’enferme où plus rien ne m’a suivi. Et de mon nid étroit d’où nul sanglot ne sort, J’entends le siècle courir à côté de mon sort."
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Kool

Kool

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Date d'inscription : 17/05/2011

Le mystère de la mort d'Albéric Magnard Empty
MessageSujet: Albéric Magnard   Le mystère de la mort d'Albéric Magnard Empty2023-08-04, 12:10

Merci Joachim pour ce beau sujet qui m'a passionné. C'est en effet un compositeur qui a un style musical caractérisé par des harmonies riches, des mélodies lyriques et une profonde expressivité émotionnelle. Wagner a influencé son style musical, et sa fin est bien tragique.😉
PS: Décidément Wagner est partout 😂
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