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 Le mystère de la mort de Tchaikovski

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joachim
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joachim

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MessageSujet: Le mystère de la mort de Tchaikovski   Le mystère de la mort de Tchaikovski Empty2023-07-21, 18:57

Source : https://www.rtbf.be/article/le-mystere-autour-de-la-mort-de-tchaikovski-imprudence-suicide-ou-assassinat-11225741

Nous sommes le 6 novembre 1893, dans un appartement situé au 5e étage du numéro 13 de la rue Malaïa Morskaïa. Il est 3h15 du matin et un homme vient de mourir, après une agonie de quatre jours. Cet homme, ce n’est rien moins que le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovsky, contaminé par le choléra quelques jours auparavant et foudroyé à seulement 53 ans. Au chevet du compositeur, on retrouve son frère Modeste, un autre frère, Nikolaï, son neveu Vladimir Davydov, deux médecins, dont l’un est le médecin personnel du tsar, ainsi que trois domestiques.

Depuis quelques jours déjà, la nouvelle s’était répandue que Tchaïkovski avait contracté le choléra et chaque jour, la presse pétersbourgeoise publiait un bulletin de santé du compositeur, cloué à même la porte de son appartement, et ne laissant guère d’espoir sur l’issue fatale de la maladie. Tchaïkovski était au sommet de sa gloire à l’époque et au-delà de la tristesse liée à sa disparition, ce sont les causes de sa mort qui vont bientôt faire couler beaucoup d’encre et littéralement déchaîner les passions et les imaginaires : selon la version officielle, Tchaïkovski est décédé du choléra, qu’il a contracté en buvant un verre d’eau non stérilisé. Mais quelque chose ne colle pas dans cette version officielle. D’abord parce que l’épidémie touchait – il faut bien l’admettre – beaucoup plus rarement les classes aisées, à l’époque, plus soucieuses de leur hygiène, mais aussi et surtout parce qu’ingérer un verre d’eau non bouillie, en pleine épidémie, équivalait à avaler un véritable poison.

Et c’est là que les imaginations vont s’enflammer : pourquoi une telle imprudence ? Après tout, la propre mère du compositeur avait été emportée par la même maladie 40 ans plus tôt. Tchaïkovski devait connaître et appliquer les gestes barrières. Cette imprudence aurait-elle été volontaire ? Ou pire ? A-t-elle été orchestrée par quelqu’un d’autre ? C’est ce que va tenter de déterminer cette enquête radiophonique.

Trois jours après son décès, le 9 novembre 1893, Tchaïkovski est enterré en très grandes pompes, on peut même véritablement parler de funérailles nationales. Par ailleurs, les frais de la cérémonie ont été entièrement couverts par la Maison de Sa Majesté impériale : dans la Cathédrale Notre-Dame de Kazan, à Saint-Pétersbourg, 8000 personnes se sont massées pour rendre un dernier hommage au compositeur. "Les murs de la cathédrale n’étaient pas suffisants pour contenir ceux qui voulaient prier pour le repos de l’âme de Piotr Ilitch" a-t-on pu lire dans le journal du Grand-Duc Constantin de Russie, ami intime du compositeur.

Et dans les travées, ça jase déjà. Il faut dire que les témoignages des proches du compositeur divergent, les témoignages de ceux qui étaient à son chevet, ainsi que ceux qui l’ont côtoyé quelques jours avant sa mort ne concordent pas. Dix jours plus tôt, Tchaïkovski dirigeait pour la première fois sa sixième (et qui allait s’avérer être sa dernière) symphonie, une symphonie surnommée "Pathétique" à titre posthume et qui avait remporté un succès mitigé. Autant dire que, 15 jours plus tard, quand la symphonie a été rejouée lors d’un concert d’hommage au compositeur, son succès n’a plus fait aucun partage. Tout le monde l’a adorée. Mais quelques jours plus tôt, il y a le fameux épisode du verre d’eau qui lui aussi, n’en finit pas d’être contredit.

Selon une première version, Tchaïkovski a dîné le 2 novembre au soir au café littéraire de Saint-Pétersbourg, entouré de son neveu, de son frère Modeste et de quelques amis. Il y boit sciemment un verre d’eau non stérilisée, bien que son neveu et son frère tentent de l’en dissuader et de lui enlever le verre de force. "Je ne crois pas au choléra !" répondrait-il.
Mais ce n’est donc pas la seule version de cet épisode. Selon une seconde hypothèse, c’est plutôt le matin du 2 novembre au petit-déjeuner, que le compositeur a bu – par erreur – un verre d’eau non stérilisée et s’est senti indisposé. Une troisième version avance plutôt que c’est la nuit qui précède que le compositeur posera sur sa table de nuit l’eau contaminée.
Il existe même une quatrième version qui impliquerait une personne tierce, dont le nom n’est pas cité, qui aurait posé une carafe d’eau non traitée dans la nuit du 1er au 2 novembre dans la chambre du compositeur qui s’empoisonnera quelques heures plus tard.
Dans toutes les versions, la seule chose qui ne change pas, c’est le verre d’eau.

Certains affirmeront que Tchaïkovski a délibérément mis sa vie en danger en buvant ce fameux verre d’eau non stérilisé en pleine épidémie de choléra. Un acte presque suicidaire et qui n’est pas sans rappeler sa première tentative de suicide, initiée 15 ans plus tôt. C’est son collègue du Conservatoire de Moscou à l’époque, Nikolaï Kachkine, qui raconte ce que le compositeur lui aurait confié : "Seule la mort, aurait-il dit, était devenue pour moi un rêve souhaitable, pouvait me libérer, mais je ne parvenais pas à décider de me suicider de manière explicite, ouverte, de peur de porter un coup trop brutal à mon vieux père ainsi qu’à mes frères. J’ai alors commencé à chercher un moyen de disparaître de manière moins frappante, comme si c’était par une cause naturelle ; et c’est ce moyen que j’ai essayé d’utiliser."
C’est pour ça que, par une froide nuit de septembre 1877, le compositeur est allé s’immerger dans les eaux glacées de la rivière Moskova, avec la ferme intention de tomber malade, et que son refroidissement ou sa pneumonie le fasse mourir. Tentative infructueuse puisque sa santé ne s’en verra pas affectée le moins du monde. De quoi être convaincu des propriétés bienfaitrices d’un bon bain d’eau glacée… Mais quelle qu’ait été l’issue de cette tentative, il ne faut pas oublier qu’elle témoignait d’un épouvantable mal-être, à peine surmontable, du compositeur. Très probablement dû à sa situation conjugale catastrophique de l’époque.

A peine un mois plus tôt, Tchaïkovski avait épousé une jeune pianiste du nom d’Antonina Milioukova, pianiste mais totalement insensible à la musique de son mari, folle et manipulatrice. Elle aura été littéralement le clou du cercueil de Tchaïkovski, qui l’avait épousée, dit-on, dans le cadre d’un mariage de convenances, destiné à cacher au monde sa véritable orientation sexuelle.
Dans la famille Tchaïkovski, les petits derniers étaient des jumeaux : Anatoli et Modeste Tchaïkovski. Et si Anatoli vivait tout à fait selon les convenances de son époque, Modeste, lui, affichait sans réserve sa préférence pour les garçons. Un goût que partageait son grand frère Piotr Ilitch, qui, lui, l’assumait beaucoup moins. Au point de se voiler la face. En effet, dans ses lettres, Tchaïkovski appelait carrément son penchant un "vice", c’est dire la pression sociale qu’il avait mise sur ses épaules. Aussi, pour le compositeur, un mariage avec une fille de bonne famille aurait sans doute calmé son père, peut-être même donné un exemple à son frère Modeste, que d’aucuns considéraient comme engagé sur la mauvaise voie.

C’est donc plus par devoir que Tchaïkovsky va épouser – au mois de septembre 1877 – Antonina Milioukova, une fille issue de la petite noblesse russe, pour un mariage blanc (entendez non consommé) mais qui très très vite va virer au cauchemar. Dans des lettres adressées à ses frères, Tchaïkovsky utilisera successivement pour désigner son épouse : son nom "Antonina", puis "cette dame", "l’épousée", et puis poursuivra avec des expressions telles que "la bien connue", "la créature de sexe féminin qui porte mon nom" et finalement "l’écœurante œuvre de la nature", "la chienne", "la canaille" ou même "la garce".
On le comprend, c’est une véritable haine que nourrit à présent Tchaïkovski envers son épouse, qui semble ne pas vouloir respecter leur accord "d’un amour fraternel" dont ils étaient convenus quelques semaines plus tôt. Mais Tchaïkovski est coincé. Par les convenances et même par le chantage amoureux de sa femme qui menace, elle aussi, de mettre fin à ses jours si son mari ne la suit pas dans ses désirs. L’incompréhension est totale et la situation semble insurmontable pour le compositeur qui préférera mettre sa vie en danger plutôt que d’affronter son échec et de reconnaître publiquement son homosexualité. Au bout du compte, le mariage ne durera pas, mais il aura donné, auprès des observateurs, un exemple de la réaction du compositeur face à l’adversité et surtout, il aura montré jusqu’où Tchaïkovski était prêt à aller pour cacher ses véritables penchants. C’est évidemment à ça qu’on pensera quand il disparaîtra en novembre 1893.

Attenter à sa propre vie est un acte fort, un acte personnel, une conviction (parfois même fugace mais une conviction quand même). Jusqu’ici, on a émis l’hypothèse d’une contamination au choléra, fortuite ou délibérée. Mais il y a une troisième hypothèse qui a été énoncée en 1979, par la musicologue russe Alexandra Orlova. Comme en témoigne son journal intime, l’homosexualité de Tchaïkovski, bien qu’étant connue de ses proches, restait dissimulée aux yeux du reste du monde. En tout cas, jusqu’au naufrage de son mariage avec Antonina Milioukova. A partir de ce moment-là, Tchaïkovski va vivre un peu plus ouvertement sa sexualité et… Ça ne va pas plaire à tout le monde. Moscou et son Conservatoire se montrent assez ouverts mais la Russie, dans son ensemble, reste très conservatrice. Et c’est la relation qu’il entretient avec un jeune officier de 17 ans qui ne passera pas : Victor Stenbock-Fermor, un officier de l’armée russe et Tchaïkovski.

La Russie n’est pas prête pour une relation ouverte et assumée. Et c’est encore moins le cas pour l’oncle du jeune officie : il écrira une lettre de dénonciation au procureur du tsar, dans l’espoir que celui-ci en fasse un exemple, un procès public. Le procureur va alors préférer la discrétion d’un tribunal d’honneur, composé d’anciens élèves du Collège Impérial de la Jurisprudence de Saint-Pétersbourg et réuni en secret pour statuer sur le cas Tchaïkovski. Le verdict sera sans appel : le compositeur doit être puni et on lui laisse le choix entre l’exil en Sibérie ou le suicide.

Tchaïkovski aurait-il donc été poussé au suicide par une sorte de conseil de bienséance, de tribunal d’honneur ? C’est en tout cas ce que semble penser la musicologue Alexandra Orlova, d’après les témoignages qu’elle a recueillis d’un certain Alexander Voitrov, élève et historien du Collège Impérial de la Jurisprudence de Saint-Pétersbourg, là où précisément aurait eu lieu cette espèce de jugement, et surtout de condamnation. Tchaïkovski aurait donc été invité à sauvegarder son honneur (et celui de la Russie) en avalant ce qu’on lui aurait tendu : un flacon d’Arsenic. Sa mort aurait alors été maquillée en contamination au choléra.

Ça paraît assez farfelu comme ça – les grandes stars n’ont plus le droit de mourir normalement, il faut toujours qu’il y ait un sombre complot là derrière. Mais quelques détails, s’ils ne prouvent rien, attirent quand même l’attention : d’abord la vitesse à laquelle s’est propagée l’infection, et le fait que Tchaïkovski, avant sa contamination supposée, ne semble déjà pas trop dans son assiette. Aurait-il succombé à autre chose qu’au choléra ? Mais surtout, fait étrange, juste après sa mort, le corps du compositeur aurait été exposé durant deux jours (pour permettre à ses nombreux admirateurs de venir lui rendre hommage). Dans le cas d’une pandémie, c’est une chose difficilement concevable : pour éviter toute contagion, la pratique était de fermer immédiatement le cercueil. Combien de personnes auront rendu visite à la dépouille du compositeur, touché son corps, embrassé parfois même son visage, et ce dans l’insouciance la plus totale. N’y avait-il en fait rien à craindre ? Mais alors de quoi est-il mort ? Voilà qui donne matière à réfléchir…

On a donc communément admis que les causes de la mort de Tchaïkovski étaient dues au choléra. Même si, le soir du 6 novembre, les médecins ont mis un temps fou à poser le bon diagnostic : il faut dire que les médecins qui exerçaient leur profession dans les milieux aisés de Saint-Pétersbourg ne connaissaient pas bien cette maladie, qui sévissait essentiellement dans les quartiers populaires, là où les pauvres vivaient dans des logements surpeuplés et insalubres. L’un des médecins avouera qu’il n’avait "jamais été témoin d’un cas réel de choléra", une maladie qui, en plus, est difficilement reconnaissable dans les premiers stades puisqu’elle ressemble à n’importe quelle intoxication alimentaire.

Et puis, la famille Tchaïkovski ne veut pas croire à la thèse du choléra. Elle n’ose pas vraiment y croire. Tous les frères Tchaïkovski ont encore bien en mémoire leur mère, emportée par le choléra 40 ans plus tôt. Tchaïkovski refusera d’ailleurs de prendre un bain chaud, comme le lui suggéraient ses médecins, sous prétexte que c’est dans son bain que sa mère avait finalement rendu l’âme. Refus de se soigner d’un côté, bravade face à une maladie qu’il disait ne pas craindre de l’autre, Tchaïkovski n’aura pas vraiment mis les chances de son côté au soir de sa vie. Ni sa famille non plus d’ailleurs, et ça pourrait peut-être expliquer – dans le cas de son frère Modeste – le témoignage un rien idéalisé qu’il aura fait des derniers instants de son frère, comme pour se dédouaner d’une quelconque responsabilité. A partir de là, que vaut sa version des faits ?

La mauvaise nouvelle pour cette enquête, c’est qu’on ne connaîtra probablement jamais les causes exactes de la mort de Tchaïkovsky. Il est trop tard. Même des analyses toxicologiques ne permettraient plus de détecter la présence d’arsenic pour confirmer ou infirmer son empoisonnement. Plus d’un siècle après les faits, c’est trop tard ! Bien sûr, les rumeurs trouveront toujours une voie pour survivre, mais restent aussi l’imprécision du diagnostic, la confusion des témoignages, et puis surtout la sous-estimation totale des effets à long terme du tabac et de l’alcool dont Tchaïkovski était coutumier.

Tout ça est repris dans l’excellent roman historique "Le Mystère Tchaïkovski" écrit par Michel Honaker. Tchaïkovski est mort – ça, c’est sûr – et nous aura laissé, en guise de tout dernier témoignage musical, une Symphonie, sa sixième, dont le dernier mouvement étonne par son ambiance. Là où la mode – et les habitudes du compositeur – aurait placé un bruyant Allegro, propre à déclencher les applaudissements les plus fervents, Tchaïkovski va clôturer son œuvre, son ultime symphonie par un long adagio, sombre, funèbre, loin du baroud d’honneur, mais plus proche du discret adieu de l’homme qui sait qu’il ne sera bientôt plus…
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Anouchka

Anouchka

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MessageSujet: Re: Le mystère de la mort de Tchaikovski   Le mystère de la mort de Tchaikovski Empty2023-07-23, 16:14

Merci Joachim ! Wink

Tout ça est repris dans l’excellent roman historique "Le Mystère Tchaïkovski" écrit par Michel Honaker
En fait je n'ai pas lu ce livre, mais j'avais lu tout l'article que tu nous envoies.
Mystère qui restera insoluble, ce n'est pas la peine d'émettre des hypothèses... Sauf qu'il n'était pas en très bon état psychologique (il cachait son homosexualité, évidemment , ou lors de ses voyages précédents en Europe) mariage horrible avec une folle, déjà une tentative de suicide dans l'eau glacée... Il est possible qu'il ait avalé un verre d'eau avariée, sciemment, en se disant
"et puis , basta !").
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