Nombre de messages : 25335 Age : 77 Date d'inscription : 19/08/2006
Sujet: Fatum de Tchaikovski 2020-08-31, 19:46
Fatum, fantaisie symphonique en ut mineur, op. 77, est un poème symphonique de Piotr Ilitch Tchaïkovski composé en 1868. Il est créé en 1869, mais Tchaïkovski détruisit la partition et celle-ci ne fut publiée que trois ans après sa mort, avec un numéro d'opus posthume. Il introduit pour la première fois dans l’œuvre du compositeur russe la notion du "fatum", du destin, appelée à jouer un rôle très important par la suite. Élaborée au moment de l’histoire d’amour avec la cantatrice belge Désirée Artôt, elle est dédiée au chef du Groupe des Cinq, Mili Balakirev. Ce dernier n’appréciera guère l’ouverture, mais profitera des bonnes dispositions de Tchaïkovski à son égard pour l’orienter et l’inciter à composer ce qui sera le premier chef d’œuvre incontesté de Tchaïkovski, l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette.
La composition commence le 22 septembre et la partition est achevée en décembre. Dans un premier temps, Tchaïkovski semble satisfait de son travail : "L’œuvre n'est pas mauvaise, je crois, et elle est orchestrée de façon très efficace" écrit-il à son frère Anatole. On n’en connaît cependant guère plus sur les circonstances de la composition, alors que la source d’inspiration que constitue le fatum, le destin, est appelée à jouer un rôle fondamental dans la vie et l’œuvre à venir du musicien. Bastianelli observe que "le titre choisi par un compositeur de vingt-huit ans apporte (…) un éclairage intéressant sur ses préoccupations". Cette période de la vie de Tchaïkovski est en effet bouleversée par l’histoire d’amour entre le compositeur et la cantatrice belge Désirée Artôt, événement qui occupe une part prépondérante de sa correspondance, et qui n'aboutira pas.
La création a lieu à Moscou le 27 février 1869 lors d'un concert de la Société musicale russe dirigé par Nikolaï Rubinstein. Le succès remporté par l’œuvre semble dans un premier temps confirmer la bonne opinion de Tchaïkovski : "C’est sans doute la meilleure chose que j'ai composée jusqu'à présent : du moins, c'est ce que tout le monde dit (succès significatif)" écrit-il à son frère Anatole quelques heures après la première.
Craignant que le titre n’évoque pas grand-chose au public, Rubinstein demande à ce que le programme du concert fournisse quelques éléments d’explication. Au dernier moment, Tchaïkovski, qui semble avoir composé son poème symphonique sans programme spécifique en tête (même si un ami a suggéré par la suite qu'il comportait des éléments autobiographiques), autorise l’insertion en épigraphe de quelques vers de Batiouchkov :
"Tu sais ce qu’avait dit Sur son lit de mort, le vieux Melchisédech : L’homme naît esclave, et c’est esclave Qu’il est mis au tombeau Et la mort elle-même ne lui apprendra pas Pourquoi il lui fallut passer par cette vallée de larmes Souffrir, peiner, pleurer et disparaître."
Le succès remporté à la création incite Tchaïkovski à envoyer son œuvre à Balakirev afin que celui-ci puisse en assurer la création à Saint-Pétersbourg. Celle-ci a lieu le 29 mars 1869 dans un concert de la Société musicale russe. Cette fois-ci, c’est un échec même si Cui, pourtant généralement peu favorable à la musique de Tchaïkovski, écrit qu’il s’agit d’une œuvre que l’on écoute "avec un grand intérêt du début à la fin". Son avis est cependant quelque peu mitigé : s’il complimente Tchaïkovski pour son orchestration, il ne peut s’empêcher de la trouver un peu grossière. L’harmonie est qualifiée "d’audacieuse et nouvelle", mais "quand elle est nouvelle, elle n’est pas belle". Quant à Balakirev qui est également le dédicataire de l’œuvre, il ne l’apprécie pas du tout. Dès le lendemain de création pétersbourgeoise, il écrit une longue lettre très argumentée recensant tous les défauts qu’il trouve au poème symphonique de Tchaïkovski. Hésitant à envoyer une missive aussi négative, il la réécrit quinze jours en la synthétisant, ce qui pour Brown, ne fait que "concentrer le déluge de critiques".
Dans Fatum, Tchaïkovski opte pour la première fois pour une forme libre alors qu’il avait préféré la forme sonate pour ses compositions orchestrales précédentes. Le plan est schématiquement le suivant : ABCAB’C’ et coda sur les thèmes de B et A. La partie A est une introduction de quinze mesures "dont la lourdeur scandée suggère l’inéluctabilité du destin". Le thème dominant de l’œuvre est ensuite exposé au début de la partie B, d’abord par les vents puis, de façon plus lyrique, par les cordes. Vient ensuite la partie C avec un thème staccato exposé par les altos sur fond de timbales qui introduit un sentiment d’angoisse assez marqué. Après la culmination de ce motif revient l’introduction A sans modification à laquelle succède une variante du thème principal (B’) puis du motif staccato (C’). La coda est en deux parties : elle reprend pianissimo le thème principal (B) avant de faire éclater fortissimo une variante de l’introduction (A), l’œuvre s’achevant sur le motif par lequel elle avait commencé.
Pour Brown, ce n’est cependant pas le plan de l’œuvre qui explique que le morceau soit "faible". En premier lieu, "aucune mélodie ne montre Tchaïkovski à son meilleur" et certaines sont "franchement banales". Mais le principal défaut vient de la structure des phrases musicales : "non seulement l’organisation est presque invariablement basée sur des phrases d’une longueur de quatre ou huit mesures, mais au sein même de ces phrases, il y a des séquences apparemment sans fin de phrases de une ou deux mesures dont chacune, une fois entendue, est généralement répétée aussitôt. (…) Il en résulte une diminution de l’intérêt à l’écoute immédiate et un ennui croissant dans l’élaboration prévisible des sections entières à venir".
Pour Lischke, "la maladresse dans l’enchaînement des différentes parties est flagrante, et Tchaïkovski a trop tendance à se tirer d’affaire en remplaçant les raccords par des silences". Il note cependant que "l’expressivité est là" et que "les contrastes sont bien rendus en dépit de la valeur inégale des thèmes eux-mêmes". Mais c’est surtout l’orchestration "dont on ne peut méconnaître la richesse" qui fait le prix de l’œuvre, montrant le niveau de maîtrise que le jeune compositeur a déjà atteint dans ce domaine.
Hofmann qualifie l’œuvre "d’étrange, des idées remarquables voisinant avec d’inexplicables faiblesses".