Très courtisé à Paris, le baryton-basse Vincent Le Texier s'apprête à enchaîner deux rôles importants à l'Opéra Bastille, un défi pour cet artiste qui aime l'inconnu, notamment dans le domaine de la musique du XXe siècle.
A partir de jeudi soir et jusqu'au 2 octobre, il tiendra le rôle-titre de "Wozzeck" de Berg. "Quinze jours pour se vider la tête", et il enchaînera avec les répétitions de "Salomé" de Richard Strauss, où il chantera Jochanaan du 7 novembre au 1er décembre.
"Ce sont deux rôles magnifiques, à l'Opéra Bastille, et en allemand: c'est une langue que j'aime chanter et un répertoire auquel je suis sensible", explique Vincent Le Texier dans un entretien à l'AFP.
Le chanteur mesure sa chance. "Je suis reconnaissant envers ceux (directeurs de maisons d'opéra, NDLR) qui font confiance à des chanteurs français", estime-t-il. Lui-même ne se "plaint pas du tout d'un point de vue personnel" et se dit "très heureux de chanter à l'étranger" (Moscou, Madrid, Rome, Leipzig...). Mais il relève qu'en France, "certains Opéras ne font pratiquement pas appel aux chanteurs français, une chose inimaginable dans les autres pays européens". Puisque "les productions ne se multiplient pas, la concurrence s'amplifie", note-t-il.
Serait-ce la rançon du succès ? Vincent Le Texier a pour sa part subi la concurrence des théâtres, plutôt que celle des autres chanteurs. Dans la petite guerre que se sont livrés ces derniers mois l'Opéra de Paris et l'Opéra-Comique pour l'engagement des artistes, à grand renfort de clauses d'exclusivité d'un côté et de déclarations courroucées de l'autre, son nom a été abondamment cité. La Salle Favart le voulait pour créer "Les Boulingrin" de Georges Aperghis (mai 2010), mais l'intéressé avait déjà signé à l'Opéra...
Le double challenge de Bastille était tentant. Cette production de "Salomé" sera sa première en allemand, puisqu'il avait jusqu'alors chanté la version française (à Saint-Etienne et Nice). Et si le personnage de Wozzeck ne lui est pas inconnu -- il est "fier" de l'avoir chanté dans des théâtres germanophones, à Lübeck (Allemagne) et Berne --, il est toujours heureux de se confronter au "génie de Büchner", inventeur d'une "forme beaucoup trop moderne" pour son époque.
Vincent Le Texier en est convaincu: sa "connaissance de la musique contemporaine (l)'aide à aborder ce genre d'ouvrage précis, évident, millimétré". Dans ce domaine, le baryton-basse a beaucoup donné, auprès de compositeurs français (Georges Aperghis, Philippe Manoury, Philippe Fénelon) mais pas seulement (le Finlandais Einojuhani Rautavaara pour un "Raspoutine" en allemand).
Et il a peut-être franchi un nouveau palier en s'affirmant, à l'automne 2008, comme le digne héritier du Belge José van Dam dans le "Saint François d'Assise" de Messiaen, en concert à la Salle Pleyel. "Cela restera comme un des grands moments de ma carrière. J'ai eu la certitude que cet ouvrage incroyable, qui ne ressemble à rien de connu, était une oeuvre phare du XXe siècle, de la même manière que +Wozzeck+", confie-t-il.
Vincent Le Texier pratique assidûment la création, par "devoir" envers les compositeurs de son temps "mais aussi par goût".
"Je ne veux pas être un spécialiste et être catalogué comme tel", souligne-t-il cependant. De fait, sa curiosité a traversé les âges: Marin Marais et André Modeste Grétry ont aussi fait partie de ses conquêtes. Sans être de son siècle.