On découvre et on redécouvre Medtner, continuateur de Chopin, de Schumann et de Brahms en plein XXe siècle, que son fameux pamphlet contre la musique moderne, La Muse et la Mode (1935), a durablement inscrit au palmarès des romantiques attardés et autres vieilles barbes académiques, à la droite de Pfitzner, mais un cran en-dessous de Rachmaninov, son idole. Il est heureux que son mécène, le sultan de Mysore, ne l'ait pas entendu de cette oreille et lui ait permis de léguer aux pianistes du XXIe siècle en mal de répertoire pas moins de quatorze sonates, dont il faut au moins reconnaître la perfection formelle, l'inventivité, la plasticité et la rare fermeté d'expression.
Dans un style qui n’est pas sans rappeler le premier Scriabine (celui des Mazurkas) et Szymanowski, Medtner a construit un ensemble qui ne connaît pas de baisse d’inspiration – fût-elle passéiste. Des pianistes d'exception comme Geoffrey Tozer (Chandos) et Marc-André Hamelin (Hypérion) en ont gravé coup sur coup une (remarquable) intégrale. Il fallait bien leur talent pour ne pas rester prostré devant les obstacles techniques qui font souvent la beauté de ces oeuvres d'une inépuisable imagination mélodique, prétextes à tous les transports. C'est le même problème que rencontre l'interprète de Rachmaninov, lequel a tardé, en sortant de son purgatoire, à en arracher Medtner avec lui.
Hamish Milne, lui aussi, a bouclé pour CRD son intégrale Medtner. Elle n'est pas du niveau de celles que nous venons de citer. Pianiste sérieux, il est trop souvent réduit, dans ces pages qui exigent autant de la tête et des doigts, à des solutions moyennes – principalement dans la Sonata Romantica, que nous ne comparerons pas à celle de Tozer, infiniment plus poétique. Dès les premières mesures, Milne peine à trouver le tracé idéal parmi les notes éparses et ne fait rien pour cacher sa perplexité. Lorsque la structure harmonique se raffermit, la diction, par effet mécanique, est aussitôt moins hypothétique, mais aux dépens d'une lecture vraiment personnelle. Pas de faute de goût, non, mais un phrasé très prosaïque, une sonorité étroite, une lecture littérale qui ne rend pas justice à la puissance évocatrice de cette musique qui réclame poigne et témérité. On ne sent pas que Hamish Milne domine totalement ces pages égrenées d'un ton égal. L'envolée finale de la Sonate-Ballade est ainsi réduite à un staccato légèrement accéléré, fort bien exécuté, platement contrasté de la main gauche ; n'y aurait-il pas moyen de donner ici davantage de sa personne ? On en est sincèrement peiné, d'autant plus que quatre pièces plus rares complètent ce programme, des Skazki (contes) qui sont des rêveries ou des tableautins tour à tour mélancoliques, oniriques et joyeux. Dans ces miniatures plus évasives, Milne tire mieux son épingle du jeu, mais on est encore une fois gêné par l'uniformité du vocabulaire pianistique et la pâleur des coloris.
C'est en somme la malédiction de Medtner : s'il n'est pas défendu par un tempérament hors- pair, il paraît mortellement conventionnel. Horowitz, Gilels, trop tôt venus, n'ont pas pu grand-chose pour sa postérité. Mais il faudra plus, aujourd'hui, que le jeu aimable de Hamish Milner pour réparer cette injustice.
Hamish Milne( piano )
CRD / CD Diffusion 2001
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