Alfred UHL (1909-1992)

...Heureux les solitaires...

 Il est considéré comme l'un des endroits les plus idylliques de Vienne - le quartier des "Heurigen", à Grinzing, à l'ouest de la ville, là où les paysages vallonnés et verdoyants de la Forêt Viennoise viennent effleurer l'agglomération. Au pied du Cobenzi et du Kahlenberg, les guinguettes se succèdent, invitant les visiteurs à prendre place dans une atmosphère conviviale, plus particulièrement lors des tièdes soirées d'été. C'est ici, Langackergasse 28, que se trouvait la petite maison en bois toute simple, presque impersceptible, et qui, des dizaines d'années durant, a servi de refuge à Alfred Uhl. A l'encontre de tout esprit du temps, il y vécut avec son épouse, loin de l'agitation quotidienne, renonçant au luxe que lui aurait consenti sans nul doute sa position dans les milieux musicaux autrichiens. En conséquence, il ne s'y trouvait pas non plus de téléphone - les communications se faisaient à partir du bureau des postes, éloignés de quelques pas,, ou encore des bureaux du Conservatoire de Vienne. Au milieu des années 90, le compositeur aurait considéré l'omniprésence des téléphones portables comme un signe avant-coureur de l'apocalypse. Seule amère concession devenue nécessaire pour pouvoir maintenir son style de vie jusqu'à un âge avancé, son contrat de location n'ayant pas été renouvelé: il passa ses dernières années dans une construction d'agencement hautement moderne, sur le terrain voisin, dans la même rue.

  Considérer notre artiste comme un misanthrope en raison de sa vie d'ermite librement choisie serait excessif. Pendant près d'un demi-siècle d'activité d'enseignant dans les disciplines Théorie musicale, Composition et Musique instrumentale et en qualité de célèbre représentant de sa corporation dans divers comités, Alfred Uhl ne se distinguait pas seulement par ses connaissances extrêmement approfondies, mais aussi par son vif intérêt pour le travail des autres, par sa grande sensibilité et sa tolérance, ainsi que par son ouverture fondamentale envers toute nouveauté ou envers les personnes encore inconnues. Certaines évolutions qui lui déplaisaient pouvaient parfois attirer ses moqueries mordantes, celles-ci reposaient cependant toujours sur des arguments bien fondés étayant sa propre position.

 Né le 5 juin 1909 à Vienne, Alfred Uhl côtoie le monde de la musique depuis sa plus tendre enfance. Le père lui donne des cours de violon, la mère lui enseigne le piano et un oncle le violoncelle. De longues années durant, le jeune Alfred joue encore de ce dernier instrument dans le "Quatuor familial" avec ses parents et sa soeur Irma (alto). A partir du milieu des années 20, Uhl se consacre aussi intensivement à la composition. En 1927, il devient entre autres l'élève de Franz Schmidt à l'Académie de musique de Vienne. Une fois son diplôme obtenu, il part en 1932 pour la Suisse où il gagne son pain comme pianiste de bar et compositeur de films publicitaires et culturels. De retour en Autriche, il est appelé sous les drapeaux en 1940. En décembre 1941, il est blessé par une mine en Russie, blessure qui entraîne une amputation partielle du pied et un séjour de plusieurs mois dans des hôpitaux militaires et diverses cliniques. En 1943, Uhl se voit proposer un poste d'enseignant à l'Académie de musique de Vienne (ultérieurement le Conservatoire de musique). Durant la même année, la ville de Vienne lui décerne le Prix Schubert. Dans l'après-guerre, Uhl est l'un des premiers acteurs engagés de la reconstruction de la vie musicale autrichienne. Il est entre autres le premier président de l'Association autrichienne de Musique contemporaine qu'il co-fonde en 1948.

 En 1966, il est nommé professeur de conservatoire ordinaire pour la composition. Au nombre de ses élèves se trouvent, outre des musiciens du monde entier, un grand cercle de compositeurs autrichien ultérieurement renommés, tels que Paul Angerer, Friedrich
Cerha, Karl Heinz Füssi, Heinrich Gattermeyer, Heinz Karl Gruber, Heinz Kratochwil, Anestis Logotheris, Christian Ofenbauer. Uhl a reçu un grand nombre de distinctions et décorations pour son oeuvre de compositeur et d'enseignant....Dans sa fonction de président de la société des droits d'auteur AKM (1970-75), il s'engage tout aussi activement en faveur des musiciens contemporains. Après sa retraite en 1979, il reste jusqu'en 1990 professeur non rémunéré au Conservatoire de musique de Vienne.

 Alfred Uhl décède de façon inattendue trois jours après son 83ème anniversaire, le 8 juin 1992, dans son appartement à Vienne.

Il est notamment l'auteur d'une superbe cantate intitulée Wer Einsam Ist Der Hat Es Gut.

La biographie est de Christian Heindl.

Ce trio a l'air pas mal et inhabituel de par sa formation. En voici un extrait.

Puisqu'il avait quand même trouvé une femme, il n'était pas si sauvage que ça. Ou alors, au contraire, c'est elle qui souhaitait une vie retirée ?

Aujourd'hui, j'ai réécouté sa cantate Wer einsam ist der hat es gut et ce fut un pur plaisir d'y être enfin revenu! Par moment, plutôt qu'une cantate, j'ai l'impression d'écouter un opéra. L'oeuvre possède d'ailleurs un magnifique thème principal qui revient trois fois et atteint son point culminant plage 15 lorsque les choeurs entrent en scène. J'adore trouver dans une oeuvre un de ces thèmes charismatiques qui accrochent aussitôt l'oreille, en devient d'une certaine façon l'élément dominant. Bien sûr, la cantate est belle en entier, possède même un autre thème mélodique très accrocheur, marquant, sauf que celui-là, si je ne me retenais pas, je pourrais l'écouter en boucle, comme envoûté, hypnotisé. Voilà une oeuvre qu'il vous faut découvrir si vous ne connaissez pas déjà.     

Au départ, j'avais prévu plusieurs oeuvres de Mauricio Kagel, un compositeur qui me tient pratiquement autant à coeur que Hans Werner Henze, mais j'ai trouvé qu'il n'entrait pas vraiment dans le carde de mon cycle actuel, que les oeuvres que j'avais retenues ne correspondaient pas vraiment au thème que je m'étais fixé. J'ai donc renoncé temporairement à ces choix - je compte consacrer un cycle entier à Mauricio Kagel - au profit de la cantate Wer einsam ist der hat es gut qui est d'ailleurs la seule oeuvre que je connais d'Alfred Uhl. Et ayant conscience de l'enthousiasme répété qu'elle me procure, je ne vais bien sûr pas en rester là avec ce compositeur.

https://www.youtube.com/watch?v=1z_fp0HFIlE


<<La joyeuse cantate pour soliste, choeur, mixte et orchestre Wer einsam ist der hat es gut (Heureux les Solitaires) a été composée en 1960 en réponse à l'oratorio "Gilgamesh", dont la première avait eu lieu à Vienne en 1957. Après le profond sérieux dont Uhl avait fait preuve dans l'épopée de Gilgamesh dans l'ancienne Babylone, il souhaitait donner libre cours au côté insouciant de sa musique. Alors que les plans d'une comédie musicale sur un texte de Theo Lingen semblaient rester au point mort, l'idée d'une cantate humoristique naquit fin 1959 dans le cadre de son cercle d'amis. En quelques jours, Alfred Uhl sélectionna des poèmes de Wilhelm Busch, Christian Morgenstern et Joachim Ringelnatz, et le 1er Janvier 1960, commença à composer la musique qui fut terminée en un mois de temps. Elle doit son titre au texte de Busch qui sert à la fois d'introduction et de conclusion à l'oeuvre et correspond à son atmosphère de création favorite: heureux les solitaires.

Pour lui-même toutefois, ainsi qu'il ne se lassait pas de le déclarer ultérieurement, il choisit comme autre devise personnelle un vers du "Nicht artig" de Busch: "Comme il est dommage, mon ami, que la bonté te rebute tant". On peut donc en déduire symboliquement que l'idée spontanée, joyeuse et divertissante des poèmes, peut parfaitement être mise en premier plan, mais il s'agissait aussi pour le compositeur de mettre le doigt, avec amabilité et réserve, mais clairement, sur les faiblesses du caractère humain. Au niveau de la forme, la cantate se compose de deux grandes parties comprenant en tout 28 courts numéros. Chaque partie est introduite par une ouverture annonçant déjà le matériel thématique du numéro suivant. Alors que l'Ouverture A est suivie de quatorze passages vocaux, l'Ouverture B enchaîne sur les douze autres. Dès le début, Uhl nous enchante avec une multitude de mélodies originales et de rythmes pétillants, des orchestrations différenciées, un art virtuose de composition chorale et des contrastes dramaturgiques habilement agencés.>>  Article de Christian Heindl (extrait).

Gabriele Fontana: soprano
Jörg Dürmüller: ténor
Andreas Scheibner: baryton
"WDR Rundfunkchor Köln" & "WDR Rundfunkorchester Köln"
Anton Marik: direction.