Pierre JANSEN (1930-2015)

PIERRE JANSEN,né Pierre Georges Cornil Jansen,le 28 février 1930 à Roubaix,est un compositeur qui s'est avant tout fait connaître par ses travaux pour le Septième Art, notamment par sa collaboration assidue avec le réalisateur français fraîchement disparu CLAUDE CHABROL. Dans ce domaine,tout comme certaines partitions de GEORGES DELERUE et ENNIO MORRICONE,ses musiques sont souvent proches des diverses expressions de la création musicale contemporaine,avec une orchestration qui peut trouver son inspiration chez BELA BARTOK (Marie-Chantal contre Docteur Kha) ou MAURICE OHANA (Le Boucher). Elles visent souvent à instiller l'angoisse dans les intrigues développées par CHABROL.

  Musicien savant et complet,il effectue ses premières études musicales au Conservatoire de Roubaix,puis à Bruxelles sous la direction d'ANDRE SOURIS. En 1952,il suit les séances d'analyse musicale qu'OLIVIER MESSIAEN donne dans le cadre du festival de la musique contemporaine de Darmstadt où l'on crée en 1958 sa Suite Concertante pour piano et dix huit instruments qui sera dirigée par BRUNO MADERNA. C'est à partir de 1960 que PIERRE JANSEN aborde le cinéma avec Les bonnes femmes qui scelle une collaboration privilégiée avec CLAUDE CHABROL. Son ambition fut d'éviter au maximum la déperdition de la valeur musicale dans le discours filmique. Il est aussi l'auteur de pièces de musique de chambre dont deux Quatuors à Cordes interprétés par le Quatuor Musique Vivante et parus chez Salabert avec le Quatuor à Cordes de MAURICE DELAISTIER né en 1951,un Processionnal en sept tableaux pour trompette et orgue,une cantate pour mezzo-soprano,piano et récitant sur des poèmes de MICHEL DELPORTE,intitulée Quatre Temps,des oeuvres pour piano,de la musique d'orgue,un quintette pour clarinette,cor,violon,violoncelle et piano,un concerto pour orchestre d'harmonie,de la musique symphonique parmi laquelle figure son Eloge de la Consonance,une Symphonie,une cantate L'An Deux Mille pour choeur et orchestre.

Composé entre 1979 et 1980 pour le Quatuor Parrenin,le Quatuor à cordes N°1 est un chaleureux salut à "l'esprit",la forme,le climat du quatuor tel qu'il nous est parvenu du début du vingtième siècle. C'est pourquoi il refuse volontairement toutes tentatives de recherche, qu'elles soient instrumentales ou syntaxiques. L'Equilibre formel identidairement associé à cette forme et l'environnement tonal en forment donc la substance. Si le premier mouvement foisonne d'idées musicales,le second respecte la traditionnelle forme du lied. Le quatuor se poursuit par un scherzo,accueillant deux trios,qui sollicite de ses interprètes une haute virtuosité et une implacable précision rythmique. Il s'achève par un final comportant un thème et ses six variations autonomes, évoluant dans l'univers harmonique,donc tonal,du premier mouvement.

Le quatuor à cordes N°2 a été composé entre 1990 et 1991 pour (et créé par) le Quatuor Musique Vivante. Pierre Jansen y poursuit cette courageuse démarche par laquelle il partage la vie politique et sociale commune à tous. Commencé lors de l'attente précédant la guerre du Golfe, le premier mouvement de ce quatuor s'en fait nettement l'écho. Il est occupé par un développement rythmique haletant et angoissé,interrompu par une plainte aux sonorités douloureuses,et conclu par une coda lente,proche du désespoir. poussé par la nécessité des contrastes et en écho au scherzo du quatuor classique,le deuxième mouvement ,incroyablement virtuose et rythmiquement rigoureux,est une grinçante allusion au dieu informatique: << des fragments répétitifs s'enchaînent les uns aux autres dans un désordre volontaire,comme si le "sequenzer" d'un synthétiseur était - non sans quelque humour - atteint d'un mystérieux virus.>>

Le final de ce quatuor en trois mouvements est quadripartite: à une introduction constituée de larges et dramatiques accords, s'enchaînent une inquiétante méditation et une véhémente exclamation, avant que la coda finale ne se remémore les accords initiaux. ainsi s'accomplit la création telle que l'entend Pierre Jansen: faire coïncider l'épars qui emplit l'univers,même au prix de rencontres harmonieuses et de chocs disharmonieux.

Frank Langlois.


Si ces deux quatuors de Jansen ne me fascinent pas autant que ceux respectifs de Peter Sculthorpe et R. Murray Schafer,ni ne me semblent posséder le charme indicible de celui dit "L'interrogation" de Marcel Landowski,ils n'en demeurent pas moins intéressants et assez captivants.

Avec la Symphonie concertante pour orgue, piano et orchestre de Pierre Jansen, on revient allègrement à une musique plus austère et moderne. L'orgue prend alors un caractère sombre, semble sublimer la mort par la superbe couleur de ses timbres, le tout dans une ambiance orchestrale crispée, tendue. La symphonie est vite portée par un motif mélodique récurrent lui apportant une beauté étrange, presque dérangeante. On a bien l'impression, à un moment donné, que les cordes apporte une lumière blanche et apaisante à l'ensemble et les mesures finales une conclusion plutôt positive aux trompettes. Le rôle du piano est toujours délicat, sans fioritures, presque discret face à l'impétuosité de l'orgue. Il faut savoir que cette pièce concertante est une musique de film qu'il composa pour Claude Chabrol, La décade Prodigieuse, un film apparemment très raté selon les propos du réalisateur, ce qui n'a pas empêché Pierre Jansen d'avoir eu l'inspiration heureuse.

Les solistes sont:

__Nicole Pillet-Werner: orgue.
__Collette Zerah-Jansen: piano.

Voici un propos tenu par Pierre Jansen sur sa pièce pour trompette et piano intitulée Processionnal, une création d'une douzaine de minutes un peu sombre et austère que j'ai moins appréciée cette fois-ci.

<< Processionnal a été composé à la demande expresse de Pascal Vigneron - à qui il est dédié, ainsi qu'à Vincent Warnier - ils en assurent eux deux à l'occasion de cet enregistrement, la première exécution. La partition se présente comme une suite de sept courtes séquences avec entre la sixième et la septième, un épisode confié à la trompette solo. Le Processionnal était autrefois un livre liturgique sur lequel était noté le texte et la musique des cantiques que l'on chantait dans les processions. Chacune des séquences pourrait être un de ces cantiques. Il arrivait parfois que la procession s'arrêtait à mi-chemin, face à un autel abondamment fleuri et spécialement préparé pour son passage. C'était le reposoir - les cantiques cessaient alors pour laisser place au recueillement. Il pourrait être suggéré ici par la cadence de trompette. Cependant, si le déroulement rythmique de ces séquences implique une certaine solennité propre à la démarche processionnale, là s'arrête toute intention de caractère vocal ou religieux. Il s'agit ici d'une partition instrumentale et concertante ayant sa propre forme qui pourrait peut-être évoquer quelque souvenir d'enfance, mais dans laquelle compte avant tout le rapport particulier opposant le timbre pur et linéaire de la trompette à la complexité du grand-orgue.>>
Pierre Jansen. 1994

Pierre Jansen ne composa pas que pour l'image, une activité qu'il a d'ailleurs délaissée depuis belle lurette. Il a composé deux quatuors à cordes ainsi que d'autres pièces de musique de chambre, de la musique de piano qui avait même bénéficié d'une édition discographique, un double-cd sans doute introuvable aujourd'hui. Je regrette l'époque où j'aurais pu le prendre de ne pas l'avoir fait. Ce soir, j'ai réécouté Quatre Temps, cantate pour mezzo-soprano, piano et récitant sur des poèmes de Michel Delporte (1927-2001) et interprétée par la mezzo-soprano Odile Descols, la pianiste Colette Zerah, Pierre Jansen prenant le rôle du récitant. L'oeuvre se découpe en quatre chapitres/poèmes; "Le sacre du Printemps" constitué de trois strophes, "Louange de l'été" constitué lui aussi de trois strophes, "Automne" en une seule partie et "Hymne de la quatrième saison" constitué de deux strophes. Lors de cette nouvelle approche, je ne me suis pas accroché à la beauté des textes ou plutôt des poèmes de Laporte qui, jusqu'ici, retenaient le plus mon attention. J'ai davantage focalisé mon attention sur le chant lui-même et le piano, sur la relation intime qui se joue entre la mezzo-soprano et le piano, les climats qui en ressortaient, les humeurs...La musique est très dépouillée, austère, aux mélodies indéfinissables, plus amères que sucrées. Le piano traverse sinueusement les quatres saisons, la chanteuse aussi. La voix récitante de Pierre Jansen y est très calme, totalement dévouée à la beauté des vers de Michel Delporte. Dans la quatrième saison, lorsque celui-ci égraine ses notes, j'ai vraiment ressenti l'hiver à ce moment-là, chaque note de cette musique étant comme un pas qui marque son empreinte dans la neige.

Je ne sais pas pourquoi, mais, ce matin, j'ai eu l'indicible envie de réécouter cette cantate Quatre Temps que j'avais pourtant écoutée la veille dans de bonnes conditions. Je m'étais bien imprégné de sa poétique un peu dépouillée, cette voix de mezzo et ce piano qui se donnent la main à travers les saisons; ça parle, ça chante surtout la vie, l'amour, la nature. l'esprit bien français de la musique me correspond parfaitement, correspond à mon humeur du moment. Cette nouvelle écoute m'a permis de déceler dans le premier Poème; "le Sacre du Printemps" une furtive citation au piano de l'oeuvre de Stravinsky, les quelques notes les plus connues...