par Benjamin Ballifh
Tout en dévoilant le génie musical de deux compositeurs à la jonction de la Renaissance et du premier baroque anglais, Byrd et Ferrabosco, Philippe Pierlot éclaire aussi le raffinement de la Cour d'Elisabeth Ière et de Jacques Ier...
C'est une époque où l'Angleterre nostalgique des polyphonies gothiques entretenait l'usage de distribuer la basse aux voix plutôt qu'aux instruments. Orlando Gibbons l'indique clairement en frontispice de son recueil de madrigaux et motets de 1612: "Apt for viols and voices", tant aux violes qu'aux voix".
D'autant que depuis la fin du XVIème britannique, l'engouement pour voix et violes mêlées est favorisée, en particulier lorsque le voix, occupant la seconde partie aiguë est comme enveloppé, au plus aigu comme aux basses par une voile instrumental apte à en souligner l'évanescente suggestivité: ainsi la berceuse "Lullaby, my sweet little" ici abordée dans au chapitre "Pour l'église" des pièces de William Byrd (1588). Que dire encore de la somptueuse texture à sept voix, quand l'ordinaire en compte plutôt cinq, de "In Paradise" qui conclue la premier cd, dédié à William Byrd, maître du "Consort song", pour lequel la voix éthérée de James Bowman, au bord du murmure ou de l'évanouissement semble traverser le miroir en évoquant tous ces mondes lointains, avec nostalgie ou renoncement.
Ainsi pour le théâtre, à l'église, sur le mode des élégies et lamentations, la pratique qui mêle étroitement et de façon si spécifique, voix et cordes s'accorde aussi pour la Cour où la figure d'Elisabeth Ière est même directement encensée, comme la mélodie Rejoice in the Lord (1586) le souligne. Outre la grandeur "protectrice" de la Souveraine, la pièce indique ce lien indéfectible entre le musicien et la Reine, d'autant plus remarquable que le compositeur avait épousé la foi catholique plutôt que l'Anglicanisme de rigueur.
Musique de l'évocation et des passages intermédiaires, les songs de Byrd s'appliquent idéalement à l'évocation admirative des âmes défuntes. Ye sacred Muses, est de ce point de vue admirable de détachement et de poésie, c'est l'hommage d'un compositeur à son maître, Thomas Tallis, mort le 23 novembre 1585 et certainement l'hymne emblématique de toute la musique anglaise de la Renaissance.
Tout autant fascinant sont les évocations brumeuses et suggestives d'Alfonso II Ferrabosco, violiste virtuose, en particulier de la "lyra-viol", intime du Roi Jacques Ier, meurt trop tôt en 1628. Le cd 2 qui lui est entièrement dédié éclaire la part d'un génie musicien: art des modulations exigeant une maîtrise exceptionnelle des tempéraments, un siècle avant Bach (fantaisie Hexachord a 5), vagues d'une irrésistible et secrète mélancolie (Pavane Four Note). Comme Ferrabosco fut prodige en son domaine, Philippe Pierlot imagine même comme un hommage, la transcription de la partie de luth de l'Ayre Why stays the Bridegroom pour viole seule. La technique de Ferrabosco inspirera après lui, un autre poète musicien Captain Tobias Hume. Ricercar Consort aborde ce répertoire comme s'il s'agissait d'une seconde langue tant ce naturel dans le lâcher-prise, cette atténuation qui convoque l'infiniment intime, le mystère et l'humeur mélancolique, cette distinction faite d'abandon et de suprême raffinement, ce temps de la musique qui semble retenir et suspendre le temps lui-même, produit ici un miracle. La voix de la soprano, plaintive et immatérielle, Susan Hamilton, comme surgissant de l'éther, ajoute à la valeur de ce second volet comme à celle du coffret double dans sa globalité. Deux immenses compositeurs du premier baroque anglais ont trouvé leurs meilleurs ambassadeurs.
William Byrd (1543-1623)
Alfonso Ferrabosco (circa 1578-1628)
Consort songs, pièces pour Lyra-viol...
James Bowman, contre-ténor
Susan Hamilton, soprano
Ricercar consort,
Philippe Pierlot, direction
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