par Benjamin Ballifh
D'Ariodante, le Scherza infida puis Dopo notte, initialement pour castrat et donc transposés, affirment une fluidité ciselée, en un balancement proche de l'hypnose, une descente dans les abîmes de la folie névrotique. Bostridge exhauce nos attentes. Voici un Haendel sombre et sanguin incroyablement investi...
On savait Haendel passionné par les étoiles vocales de son époque, castrats et prime soprane. Il est aussi une autre tessiture aimée, idéalement polie, également ciselée par son exigence créatrice, celle du ténor. Mais si le compositeur aimait le timbre du baryténor, Ian Bostridge, comme Mark Padmore dans un disque au programme proche, s'impose dans le registre plus agile et aigu du haute-contre. Bostridge aborde les rôles que John Beard chanta pour Haendel dans opéras et oratorios (Semele, L'Allegro, Samson, Il Penseroso ed il Moderato, Jehptha). Mais un haute-contre dont la fragilité le dispute à l'éloquence sentie, la fragilité à la sensibilité, l'introversion à la délicatesse... autant de qualités qui destinent aujourd'hui le ténor britannique vers le théâtre de Britten, sur les traces d'un Peter Pears, vers Peter Grimes. Rôle futur qui se précise d'ailleurs dans la prochaine saison de La Monnaie de Bruxelles, 2008/2009. Mais il s'agit d'une prochaine étape.
Ici, la voix so british parfait ce en quoi elle excelle (et ce en quoi elle peut déranger et agacer...): la tenue de la ligne et du souffle, une musicalité égale, une absence apparente de sentiment, des accents langoureux qui effilent la trame du verbe comme autant de tissus distendus... diront ses détracteurs. Pourtant ce chant livide comme éteint, est bien le fruit d'un style solidement cultivé, magistralement porté... par un diseur hors pair, par ailleurs diplômé en musicologie à Oxford.
L'articulation et l'éloquence sont les valeurs fortes d'une incarnation personnelle qui s'engage constamment pour l'expression profonde des affetti. Ombra mai fu (Serse) est en cela saisissant d'oubli et de renoncement, de vacillement et distanciation philosophe, doué d'un abandon touché par la grâce de la mesure. Or de mesure, Ian Bostridge est un ambassadeur virtuose: tout est là. Question de style et de sensibilité (et non sentimentalité). L'air est soutenu par un souffle caressant qui est passé déjà de l'autre côté du miroir. Même sentiment de suspension hors du temps, pour Cosi la tortorella (La Resurrezione): dommage qu'ici, l'orchestre manque de fulgurant tempérament (c'est là notre seule réserve). La ligne murmurée du chanteur n'en aurait tiré que plus de mordant et de passionnant relief. D'Ariodante, le Scherza infida (un air que Bostridge aime plus que les autres, pour ses gouffres et ses ombres changeantes...) puis Dopo notte, initialement pour castrat et donc transposés, affirment une semblable fluidité ciselée, en un balancement proche de l'hypnose, une descente dans les abîmes de la folie névrotique. Et Acis ne manque pas de panache, d'éloquence régénérée: serait-ce parce que la prose est en anglais: immédiatement l'éclat des voyelles redoublent de pointes et de soutien. Et d'ailleurs ce sont les trois airs extraits d'Acis et Galatée qui permettent à l'orchestre et au soliste de vraiment se "trouver". Récital magistral qui confirme la palette infinie d'un interprète artiste. Evanescent comme suggestif, Bostridge exprime toutes les couleurs et leurs passages ténus, du coeur humain, sublimés par un Haendel particulièrement psychologue. Dommage cependant que la direction de Harry Bicket manque cruellement d'imagination.
Ian Bostridge, ténor: "Great Handel"
Kate Royal, soprano (*)
Where'er you walk (Semele)
Comfort ye...Ev'ry valley (Messiah)
Frondi tenere... Ombra mai fu (Serse)
Cosi la tortorella (La Resurrezione)
Love sounds th'alarm, Love in her eyes sits playing, Happy we! (Acis and Galatea)
Scherza infida, Dopo notte (Ariodante)
Total eclipse! (Samson)
As steals the morn (L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato)(*)
Hide thou thy hated beams... (Jephtha)
Orchestre of the Age of enlightenment
Harry Bicket, direction