par Hugo Papbst
Voici une version "noire" de Zoroastre, dans la mise en scène à la fois dépouillée et esthétique de Pierre Audi. La violence y sévit (l'acte IV décidément mémorable fait parler les Enfers!), le chaos est visible: saluons Opus Arte de nous offrir ce superbe spectacle qui ne perd rien de sa tension ni de son éloquence au dvd. Magnifique!
Dès son premier opéra, composé à 50 ans, Hippolyte et Aricie, Rameau montre en 1733 son génie de la scène: porteur de trouvailles inédites qui revendique la souveraineté de la musique, une musique délirante et inventive dont le rythme, davantage que la parole et le texte, structure et porte l'action. Dans ses deux derniers opus, Zoroastre et Les Boréades, le compositeur innove encore, soulignant l'absolue supériorité de l'orchestre dans une succession de tableaux contrastés qui alternent sans pause, choeurs, ballets, intermèdes, où le chant tient une place économe, tout autant affûtée. Pas de dilution ni d'ornements superflus. Rameau est un dramaturge né et il le prouve dans Zoroastre.
Le point ultime de son invention reste l'Acte IV, acte infernal, où une "troupe coupable" emportée par le diabolique Abramane, secondé par la Vengeance, se livre à une orgie honteuse d'imprécations barbares. Cette "messe noire", totalement hideuse, demeure la clé de voûte de cet opéra pourtant moral. Car Zoroastre, avant La Flûte Enchantée de Mozart (1791) est traversé par l'esprit des Lumières, proche même des symboles maçonniques puisque le librettiste de Rameau, Louis de Cahusac était secrétaire du grand maître de la Loge de France. Autant de barbarie brossée sur la scène ne fait que mieux souligner l'éclatante vertu des peuples pacifistes, inspirés par la sagesse. Ici l'opposition bien/mal, amour/haine offre une lecture politique et philosophique. L'homme qui ne s'appartient pas est voué à la souffrance, la solitude, la mort. Celui qui aime, sait protéger, donner, rendre la justice, être grand. Sa vertu et sa loyauté sont tôt ou tard récompensées.
Dans le théâtre de Drottningholm, dans la périphérie de Stockholm, les machineries remontent au XVIII ème siècle (1766): elles forment un écrin naturelle, légitime aux représentations ici magnifiquement filmées par Olivier Simonnet. D'autant que la partition créée en 1749, puis remaniée en 1756, trouve une scène quasi contemporaine à son esthétique. Les plans de la caméra (installée en fond de scène, dans les cintres, sur les côtés) tournent autour des chanteurs et des danseurs, restituant la vitalité des représentations de juillet 2006.
La troupe majoritairement étrangère se faufile dans l'articulation du français, trouvant un ton juste, en s'appuyant en particulier sur les consomnes: la projection du texte n'en est que plus convaincante en particulier dans les tableaux les plus intenses. Nos seules (légères) réserves vont à la direction de Rousset, certes habitée mais parfois peu nuancée (plus expressive que ciselée, d'où sa pleine réussite dans la messe noire de l'acte IV avec ses rictus hideux), aux gesticulations finalement systématiques que le chorégraphe Amir Hosseinpour impose à toute la troupe, en particulier dans le choeur final, enfin au couple des "élus" vainqueurs de Zoroastre et d'Amélite dont les chanteurs n'ont pas l'évidence de leurs rivaux, voués au mal, Abramane/Erinice. Rameau offre en effet à cette dernière, un profil psychologique fascinant, tour à tour livré aux délices de la perversion haineuse, puis amoureuse attendrie: Erinice qui aime sans retour Zoroastre, l'avertit du danger qui le menace, exprimant des sentiments louables entre pardon et renoncement. Anna-Maria Panzarella tire son épingle du jeu: la chanteuse qui a participé à tous les Rameaux dirigés par Christie à l'Opéra de Paris, s'impose indiscutablement dans la distribution, dévoilant ce qui est contesté chez Rameau: la poésie du coeur. Aimante suicidaire, Erinice a trouvé une magnifique interprète. C'est donc une version "noire" de Zoroastre qui nous est livrée ici, dans la mise en scène à la fois dépouillée et esthétique de Pierre Audi et sous une lumières rasante, particulièrement travaillée. La violence y sévit (l'acte IV décidément mémorable fait parler les Enfers!), le chaos est visible: saluons Opus Arte, très investi dans la restitution des opéras de Rameau, de nous offrir ce superbe spectacle qui ne perd rien de sa tension ni de son éloquence au dvd. Magnifique!
En bonus: documentaire "Découvrir un opéra" (1h), coproduit et diffusé sur Arte où chef, metteur en scène et chorégraphe analysent les enjeux de l'opéra de Rameau, lui restituant sa modernité: l'originalité désarmante du langage musical, la psychologie des caractères dont le rôle clé d'Erinice. Lire notre présentation de "Découvrir un opéra: Zoroastre, lors de sa diffusion sur Arte, le 9 juin 2007
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Zoroastre, 1749
Livret de Louis de Cahusac
Créé le 5 décembre 1749 à Paris
Anders J Dahlin, Zoroastre
Evgueniy Alexiev, Abramane
Sine Bundgaard, Amélite
Anna Maria Panzarella, Erinice
Lars Arvidson, Zopire/La Vengeance
Gérard Théruel, Oromasès/Ariman
Ditte Andersen, Céphite
Choeurs et danseurs du Théâtre de Drottningholm
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction
Mise en scène: Pierre Audi
Chorégraphie: Amir Hosseinpour
Lumières: Peter Van Praet