S’il est à ce jour l’auteur de neuf symphonies, d’une dizaine de concertos, de cinq quatuors à cordes et de nombreuses autres compositions pour formations de chambre, c’est pourtant autour de la voix que Hanz Werner Henze a bâti la part la plus importante de son œuvre. Là où, dans le sillage de la Seconde Ecole de Vienne, ses compatriotes Hartmann et Zimmermann laissaient au répertoire lyrique un ou deux chefs-d’œuvre sans lendemain, il a fait montre d’un intérêt constant pour la scène, de Boulevard Solitude (1952) à Venus und Adonis (1995) en passant par l’adaptation du Ritorno d’Ulisse in Patria de Monteverdi (1983).
On ne sera donc pas étonné, à l’écoute des six Gesänge, de leur trouver quelque parenté avec l’opéra. De par leur durée, tout d’abord : de six à neuf minutes, ces " chants tirés de l’arabe " s’apparentent à des airs de concert tels que Mozart en a composés, fragments échappés d’un opéra imaginaire ou " scènes " prêtes à intégrer une trame dramatique (tempête en mer et naufrage de " Selim und der Wind ", aria di furore de " Fatumas Klage "). De par l’écriture vocale, ensuite : on est ici à mi-chemin du récitatif et de l’aria, sans pour autant atteindre à l’expressivité éruptive du sprechgesang. Dans cette optique, la voix de Bostridge (dédicataire de l’œuvre, ainsi que son accompagnateur) paraît idéale : son articulation de diseur et son aptitude à " piquer " les syllabes ou à les assouplir dans un arioso enjôleur donnent à chaque vers une densité peu commune. Comme, à cette ductilité, s’ajoutent un médium chaleureux et un aigu d’une grande pureté, qui compense une projection assez modeste, ces trois quarts d’heure ne lassent jamais – et on y découvre, en outre, un Henze-poète des plus convaincants.
En complément de programme, les Auden Songs composées en 1983, en même temps que la partie d’orchestre de l’opéra La Chatte anglaise, forment un triptyque miniature où plane, et pas seulement à cause de Wystan Auden, l’ombre de Britten. La préciosité de l’écriture du poète rejoint celle du compositeur, que ce soit dans les échos de valse de l’élégie sur la mort du chat Lucinda (" In memoriam L.K.A. "), dans le portrait métonymique du poète des Illuminations (" Rimbaud ") ou dans le chant d’amour quasi élizabethain qui clôt le cycle (" Lay your sleeping head, my love ").
On les avait acclamés dans leurs précédents disques Schubert et Schumann : Ian Bostridge et Julius Drake confirment, avec ce nouvel enregistrement, qu’ils forment un duo rare, de la trempe de Peter Pears et Benjamin Britten. Ils gravent de ces deux cycles, enregistrés pour la première fois, des versions qu’on hésite à peine à qualifier de " définitives ". La magistrale Henze-Edition (DG) n’ayant pas franchi le Rhin, ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance des mélodies de Henze n'ont à leur disposition une seule référence : les Neapolitan Songs éditées avec les symphonies n°5 et n°6 par DG dans la " Centenary Collection " (Fischer-Dieskau, membres du Philharmonique de Berlin, 1956).
Ian Bostridge( ténor )
Julius Drake( piano )
EMI / EMI 2001