Peu à peu, Audite constitue sa propre intégrale Mahler/Kubelik, pour faire pendant à celle gravée – en studio – par le chef tchèque il y a trente ans pour Deutsche Grammophon (rééditée en coffret économique pour les fêtes). A cette époque, Kubelik était l'un des premiers, avec Bernstein, à envisager les symphonies de Mahler dans leur totalité. Où le chef américain imposait une vision puissamment subjective, Kubelik œuvrait dans le détail et s'inscrivait résolument dans la tradition viennoise. Ces deux tendances ont eu leurs émules et, depuis, Tennstedt, Haitink, Solti, Inbal ont pu faire oublier le travail défricheur de Kubelik, que n'animait aucune mégalomanie. Son approche séduit toujours par son ingénuité et sa feinte inattention, parfaitement adaptées à l’hymne panthéiste qu'est la Symphonie n°3.
Cet enregistrement public, contemporain de la version studio qui réunissait les mêmes interprètes, est également plus long de cinq minutes. Il donne l'impression contraire. Moins léchée, la direction de Kubelik est également plus instantanée et laisse davantage de place à la surprise. La gaucherie occasionnelle de tel ou tel, l'aigreur du premier violon ne sont que la rançon, délicieusement piquante, d'une œuvre qui ne se refuse pas à la trivialité et demeure de bout en bout dans un continuel état de fourmillement sonore. Dans le premier mouvement, Kubelik, tout à son émerveillement, paraît lâcher la bride ; on frise la dispersion, mais rappelons-nous que les esquisses portent le titre « Procession de Bacchus » : l'ivresse et la titubation sont presque de mise ! D'autre part, Kubelik souligne, çà ou là, quelques avant-bruits de la 9e, de la 10e ou du Chant de la Terre, aiguisant la curiosité.
Plus inattaquables sont le Menuetto et le Scherzo, emplis d'échos alpestres reproduits avec une candeur parfaite. On peut tout faire dire à Mahler ; Kubelik, dédaignant l'intention, préfère une lecture littérale : parti pris légitime, puisque cette symphonie se veut l'expression même de la nature, de la condition humaine, de l'amour. Marjorie Thomas renouvelle à l'identique son « Chant de minuit de Zarathoustra » de la version DG, mieux soutenue par un orchestre moins diaphane. Même remarque pour le chœur d'anges sensiblement plus terriens qu’en studio – incarnation profane dont nous ne nous plaindrons pas. Reste à déployer l'immense arc de l'Adagio final, d'un romantisme irrésistible, qui, lorsqu'on parvient à en soutenir la patiente élévation, ne mérite plus d'être tenu en moindre estime que ceux de la 5e, de la 6e ou de la 10e. La délicatesse de ton de Kubelik, la façon qu'il a de retenir son geste et de cacher son jeu, comme s'il cherchait à transformer un orchestre de province en phalange internationale, pardonnent les quelques bousculades involontaires des cordes. Les cuivres de la Radio bavaroise sont quant à eux fidèles à leur mordante réputation. Moins univoque, moins ample que dans la version studio, cet Adagio est aussi plus frémissant – à l'image de cette colossale symphonie ici descendue de son piédestal pour se coucher dans l'herbe. Une Troisième humaine, trop humaine, dont les fragilités font tout le prix.
Marjorie Thomas( contralto )
Tölzer Knabelchor( choeur d'enfants )
Choeur de la Radio bavaroise( choeur )
Orchestre de la Radio bavaroise
Rafael Kubelik( direction )
Audite / Intégral 2002
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