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 Musique psychanalytique

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Snoopy
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Snoopy

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MessageSujet: Musique psychanalytique   Musique psychanalytique Empty2006-10-24, 22:16

Il ne peut y avoir de musique psychanalytique ni même de musique ayant pour objet la psychanalyse. Existerait-il un oratorio sur Freud que cela ne changerait rien à l'affaire : la musique est irréductible aux mots, leurs pouvoirs ne se recouvrent pas.

Ce qui nous fait considérer ici la musique négro-américaine (le jazz) c'est la relation extrêmement particulière qu'elle entretient avec le freudisme. Brièvement, et sous réserve de précisions ultérieures, nous dirons, le jazz est une cure psychanalytique. Les conditions de vie qui leur furent faites placèrent les Noirs dans un tissu de contradictions insurmontables. La tension, au niveau psychologique, ne pouvait se traduire que par une psychonévrose généralisée à l'échelle d'une communauté.

Comment les Noirs ont-ils contenu les développements de cette névrose ? Les auteurs ne manquent pas d'expliquer la fonction thérapeutique du jazz, le Noir s'évaderait de la contrainte quotidienne par la fête, qui est fuite dans l'imaginaire… Mais qu'elle est étrange cette fête qui consiste à chanter ses malheurs ! Ce que dit le blues ou le negro spiritual, ce ne sont point les douceurs d'un monde meilleur, mais la femme infidèle ou le travail épuisant…

Oublions un instant les sempiternels Old Man River à l'usage d'une clientèle blanche et pénétrons dans une église noire. Le pasteur y apostrophe les fidèles, questions et réponses se muent en un chant ponctué de claquements de mains et, tandis que monte la tension, le pasteur procède à la confession des fidèles. Le processus s'accomplit toujours en trois temps :

- le pasteur amène le groupe à préciser ce qu'il voudrait de lui, et le lui refuse (le pardon des fautes, la vie éternelle) ;

- il fait ensuite ce que la foule attend quand même (une bénédiction) mais en la retardant pour que la situation devienne angoissante ;
- il propose une interprétation (explication des écritures, prêche) à la fin de la séance, quand culmine la surexcitation.

Cette procédure reproduit presque dans ses moindres détails la thérapeutique dite "théâtrothérapie" ('Improvisation de scènes dramatiques sur un thème donné, par un groupe de sujets présentant des troubles analogues. Les psychothérapeutes participent au jeu dramatique tout en l'orientant et en l'interprétant." D. Lagache, La psychanalyse, PUF). Considérons maintenant le blues. Loin de dire ses déboires personnels, le chanteur donne une voix aux malheurs de son peuple et tente de les soulager. Le chant répète en la dramatisant la situation malheureuse où s'enracine la névrose. Il ne s'agit pas, par le blues, d'expliquer scientifiquement les causes de celle-ci, mais d'en proposer une organisation empirique en système. Les conflits se dissolvent alors, parce qu'ils se réalisent dans un ordre (ici le chant) qui amène à un dénouement (la transe qui est intégration des contradictions). La névrose n'est pas guérie, mais elle est canalisée. Le processus que met en jeu le chanteur de blues est un processus clé de la psychanalyse : "l'abréaction" ("Moment décisif de la cure où le malade revit intensément la situation initiale qui est à l'origine de son trouble." Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon). Le chanteur est un abréacteur professionnel et son abréaction induit chez le malade (le groupe) une abréaction de son trouble propre.

Nous sommes ici en présence d'une cure proche de la psychanalyse, qu'inventa un peuple pour supporter sa condition. Ne nous étonnons pas : Lévi-Stauss a depuis longtemps souligné le parallélisme entre la cure psychanalytique et les rites magiques. Le chanteur de blues et le pasteur auront été les substituts du sorcier ancestral.

Le geste qui exclut le jazz de la sphère du culturel répète curieusement le geste qui a autrefois exclu la psychanalyse : tous deux parlent trop ouvertement de la sexualité, et d'une identique manière. Freud écrit en 1915 : "Il me paraît indiscutable que l'idée de "beau" a ses racines dans l'excitation sexuelle, et qu'originairement il ne désigne pas autre chose que ce qui excite sexuellement." (Trois essais sur la théorie de la sexualité). La musique négro-américaine affirme sa nature aussi crûment que la définissait Freud, à l'inverse de l'art occidental qui la fuit dans le mythe d'une "pureté". Et pourquoi aurait-elle honte de la sexualité, elle qui est née
dans les bouges de la Nouvelle-Orléans ? Comme l'érotisme, le jazz est transgression des interdits sociaux et moraux et donc de l'ordre bourgeois lui-même. Le surréalisme le rejoindra sur ce point, en affirmant que l'art est par essence transgression. "Nous réduirons l'art à sa plus simple expression, qui est l'amour." (André Breton).

"Que la nuit tombe sur la fosse d'orchestre !" s'écriait André Breton. Les surréalistes, quand ils condamnèrent la musique, ne connaissaient pas l'art négro-américain, et c'est dommage : jazz et surréalisme sont plus proches qu'on ne le pense. Tous deux sont érotisme, affirmation de la conception freudienne du beau, tous deux usent d'une même technique, qui fait appel à l'inconscient : l'écriture automatique.

L'improvisation - qui est essentielle au jazz - a peu à peu évolué d'un jeu basé sur les harmonies d'un thème à l'intérieur d'un cadre rigoureux vers une liberté absolue qui l'identifie à l'écriture automatique. Or ces deux techniques sont la reprise de la règle fondamentale de la cure psychanalytique : "la règle de la libre association". ("Consigne qui est donnée au patient de dire tout ce qui lui passe par la tête… sans rien exclure volontairement… c'est un apprentissage de la liberté dans l'expression de soi et la communication avec autrui." Lagache, op.cité). Il apparaît que le jazz et le surréalisme "parlent" le même langage que Freud. Beaucoup de jeunes musiciens en sont conscients, qui mettent explicitement en relation la psychanalyse et leur musique. (Le saxophoniste J.L. Chautemps écrit : "Je vois la musique comme une exploration de l'inconscient, une sorte de psychanalyse. Il faut couler toujours plus loin dans l'épaisseur du rêve." Jazz Hot n°187, p.18). Le bassiste Charlie Mingus a dédié une de ses œuvres au maître viennois.

A la confluence du jazz, de la pop music, de la poésie beatnik et des œuvres choisies de Freud se situe un groupe musical aberrant : Les Fugs. Imaginez sept barbus (à la Castro) sur une scène jonchée de gadgets hétéroclites (fœtus en matière plastique, casques nazis, etc.). Pendant que le chanteur agite son micro d'une manière ostensiblement obscène, un acolyte se déshabille dans un concert d'aboiements pour, au sommet de l'extase, déverser sur la scène le contenu d'un pistolet à eau… La sollicitation d'un folklore freudien cher au happening est ici évidente.

Le goût prononcé des Américains pour tout ce qui concerne l'"exploration intérieure" rendait immanquable au niveau de la musique in, après l'usage des drogues et les expériences psychédéliques, une rencontre avec le maître même de cette exploration : Freud. Rencontre d'autant plus certaine que la pop music, tout comme le rock n'roll est l'exploitation commerciale de l'art négro-américain, dont nous avons vu qu'il a toujours été au plus près d'une "sensibilité psychanalytique".
Entre le tam tam africain et le froid bureau du psychanalyste, le jazz nous propose un trait d'union inattendu qui nous prouve que des personnes parfois très éloignées peuvent parler le même langage.

Copyright Michel Le Bris
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MessageSujet: Re: Musique psychanalytique   Musique psychanalytique Empty2006-10-25, 10:16

Par rapport aux liaisons "dangereuses" ou ambiguës entre la pop-music et l'érotisme, bref entre l'érotisation de la musique en général (jazz y compris), j'avais parcouru un excellent article paru dans le tome 1 de "Musiques, une encyclopédie pour le XXIème siècle" - volume consacré aux différentes musiques du 20ème siècle (jazz et rock y compris)

à découvrir ici :

http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=1392467
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