Diego MINCIACCHI, né en 1955

Eléments biographiques:

Diego Minciacchi est un compositeur et médecin italien né à Rome en 1955. Il a étudié le piano et la composition dans plusieurs conservatoires; celui de L'Aquila, Milano et Perugia, desquels il décrocha ses diplômes de musique. Il étudie la compositions auprès de Karlhein Stockhausen, Giuseppe Giuliano, Luigi Nono, Horatiu Radulescu et Curtis Roads. Parallèlement, il étudie la médecine à l'Université Catholique de Rome où il obtient ses diplômes médicaux, diplôme en neurologie et en neuroscience. Il est invité à présenter sa musique dans plusieurs meetings et festivals internationaux consacrés à la musique contemporaine, dont ceux de Darmstadt, Paris, Mexico, Varsovie...Il oeuvre dans différents studios à travers le monde dont l'IRCAM à Paris. Outre son activité musicale, Diego Minciacchi fait partie d'une association de recherche entre 1989 et 1991 au Département du Cerveau et des Sciences Cognitives de Cambridge, aux USA et devient professeur à la "Anatomo-physiological Foundation of Cognitive Activity, de 1992 à 1994 à l'Université de Turin en Italie. Durant son activité musicale, il se rend l'auteur de plus d'une cinquantaine de compositions, certaines pour instruments solos conventionnels, d'autres pour petits et grands ensembles, d'autres encore pour instruments et électronique puis pour électronique seule. Il collabore avec d'autres musiciens tels que Magnus Anderson, Pierre-Yves Artaud, Mauricio Barbetti, Alan Brett, Alberto Fabbriciani, Fernando Grillo, Kaya Han, Nicolas Isherwood, Daniel Kientzy... Dans le domaine médical, il publia régulièrement les résultats de ses investigations scientifiques sur différents journaux spécialisés dans la neuroscience. Diego Minciacchi vivrait actuellement à Florence où il fonda une société de musique contemporaine sous le nom de "Canto de' Cerchi".

Il est évident que pour les mélomanes qui ne jurent que par la bonne vieille musique tonale à laquelle je demeure moi-même très attaché, Diego Minciacchi n'est pas fait pour eux. Il navigue dans une dimension qui laisse peu de place à toute concession tonale, évolue davantage dans une eau trouble et tourmentée, selon un concept sonore et harmonique taillé dans la pierre contemporaine et une structure organique qui a tous les aspects d'un monde chaotique et fuyant, encore que...Je viens de réécouter deux des cinq oeuvres que je connais (depuis longtemps) de cet expérimentateur né; Earth will have her say...or...say What? (1990) pour trombone, percussion et bande, avec le tromboniste Barrie Webb et le percussionniste Laszlo Hudacsek, et The Lilliput-août Collection (1992-94) pour violon alto et bande avec l'altiste Mauricio Barbetti. La forme sonore est rude et statique, ce qui dans l'approche et l'esthétique m'a fait plus ou moins pensé à certaines compositions de Nono, Maderna, Scelsi ou Ligeti comme, par exemple, Atmosphères, sauf qu'à mon oreille la prose rugueuse de Minciacchi me convient beaucoup mieux. Cela s'explique peut-être par l'emploi d'un instrument solo, le trombone dans Earth will have her say.... ou l'alto dans The Lilliput... qui se désolidarisent le plus souvent de la matière électro-acoustique, semblant évoluer à contre-courant dans une intensité dramatique permanente: l'intensité, autre point important pour moi. Elle ne s'émousse dans aucune de ces deux oeuvres, la tension musicale étant maintenue jusqu'au bout, presque un peu crispante à la fin de la seconde que j'aurais souhaité plus fluide et sereine. Dans la première, la percussion, contrairement au trombone, ne se détache pas  vraiment de la matière sonore et statique, semble davantage l'appuyer fusionnellement, l'épaissir. Dans The Lilliput..., l'alto se trace un chemin fortement accidenté et tortueux au sein de pizzicati, trémoli et grincements du même instrument reproduit et multiplié. Dans les deux cas, il s'agit d'une musique athématique mettant à l'épreuve un instrument conventionnel solo dans un complexe harmonique extrêmement sinueux et brutal.

J'ai réécouté, en cette fin de journée, les trois dernières oeuvres que je connais de Diego Minciacchi. J'ai été aussitôt séduit par la poétique de Ritual for the New Morning (1993 version) pour sept flûtes et bande, par le flûtiste Roberto Fabbriciani. Le jeu des flûtes et des flûtes basses apportent avec beaucoup d'efficacité une dimension naturalistique à l'oeuvre. C'est effectivement une musique de la nature et de l'éveil. J'aurais pu démarrer ma matinée avec cette musique, cependant, l'avoir fait avec Monteverdi fut aussi une très bonne idée. J'ai en tout cas beaucoup aimé entendre ces flûtes se multiplier et s'animer ainsi, une poétique qui m'évoqua au passage certaines compositions d'Ennio Morricone de cet esprit-là mais écrites pour l'image. Cimeli Zoomorfi... (1994) pour flûte alto et bande, toujours par le flûtiste Roberto Fabbriciani, propose déjà une musique plus âpre et austère. Le paysage sonore est déjà plus désertique, assoiffé, plus hostile et dilaté. La flûte alto évolue en terre hostile sous un soleil de plomb. Elle transpire et peine à avancer. Elle est le seul élément vivant et en mouvement dans un champs statique et inhospitalier, semblant lutter contre un vent rude et lancinant. L'auditeur que je suis s'est accroché à cette flûte solo, a emboîté ses pas sur un sable brûlant, s'est suspendu à sa voix asséchée, fort d'un climat poignant qui ne baisse jamais en intensité. J'ai été aimanté jusqu'au bout. "Westbau" from "Der Dom" (1992) pour voix basse, contrebasses, trombone et bande, par Nicholas Isherwood, Stefano Scodaribbio et Barrie Webb, est peut-être mon oeuvre préférée de Diego Minciacchi. J'aime bien l'exploration de la voix humaine, la manière dont elle est étirée et multipliée dans un complexe sonore intense et dramatique.

Les fresques sonores de Diego Minciacchi

Par André Richard:

Dans "The Aforesaid", Diego Minciacchi présente cinq compositions élaborées entre 1990 et 1994. Toutes ces oeuvres ont en commun d'être écrites pour un ou plusieurs solistes et sons électroniques pré-enregistrés. Ces sons projetés dans l'espace, représentant une partie non négligeable des compositions, sont constitués d'un matériel sonore produit par des instruments conventionnels et transformés (postproduction) grâce à des moyens technologiques avancés dans le "Clango studio" de Minciacchi à Florence. Compositeur et médecin, il crée des textures compositionnelles, des bandes sonores (sound streams), des situations acoustiques dans lesquelles demeure l'auditeur, elles ne sont pas soumises à des développements ou des structures temporels habituels mais leur facture compositionnelle relève de modèles biologiques et neurologiques. Dans les cinq oeuvres présentées ici, le compositeur est intéressé par l'organisation des dimensions distinctes des masses sonores avec lesquelles, pendant la performance, le soliste entre en dialogue soit sous forme de commentaire, de complément harmonique (fusion) soit en tant qu'opposition ou contraste. Les compositions témoignent de la recherche et de l'examen attentif du matériel sonore par Diego Minciacchi. Elles témoignent également d'un travail inlassable et de la quête pour saisir un monde sonore et pour mieux le comprendre, travail créatif qui perce d'une manière intrépide dans des sphères nouvelles.

Effectivement, ce soir, j'ai navigué dans des eaux plus troubles et tonitruantes que chez Menotti qui, visiblement, enthousiasme beaucoup, sûrement à raison, ce cher Joachim.  Moi-même ai changé totalement d'univers après Dallapiccola pour des ambiances atonales crispées où le soliste a tout un espace d'expression. Il s'agit des oeuvres que je cite plus haut. C'est un monde expérimental qui me plait bien, que ce soit par le jeu d'un trombone ou d'une flûte multipliée par sept comme c'est le cas dans ce "Rituel":

https://www.youtube.com/watch?v=Y5GuOSS7kdE

C'est sûr que Menotti et Minciacchi, même s"ils appartiennent tous les deux au même siècle - enfin précisons quand même que Diego Minciacchi appartient plutôt à la seconde moitié - n'emploient pas les mêmes méthodes pour évoquer l'apocalypse, le premier s'appliquant davantage à la sublimer alors que le second lui apporterait une illustration réaliste. Si j'emploie le conditionnel c'est parce que rien ne dit que dans les oeuvres que je connais de Diego Minciacchi il y ait une intention claire d'évoquer l'apocalypse. C'est juste une ambiance sonore chaotique qui en émane et de laquelle se débat le plus fougueusement possible un soliste, puisse-t-il s'agir de la flûte de Roberto Fabbriciani dans Cimeli Zoomorfi pour flûte solo et bande magnétique (1994) ou d'un trio atypique, voix basse, contrebasse et trombone dans "Westbau" from "Der Dom" pour voix basse, contrebasses et trombones (1992). C'est un chaos sans concession, atonal, souvent statique, voire électro-statique, par lequel s'émancipent avec virtuosité des solistes rompus à toutes les difficultés techniques. Le chemin à parcourir est escamoté, bourbeux, parfois en pente rude. Le soliste est un peu l'insoumis de ce chaos organisé, l'organisme vivant qui se débattra jusqu'à son dernier souffle pour ne pas s'enliser, pour ne pas s'engluer dans l'abîme. C'est cette insoumission du soliste au monde du chaos programmé qui m'intéresse dans la musique de ce compositeur. La "beauté" au sens classique du terme n'y a pas sa place.

https://www.youtube.com/watch?v=_g3s-kL76Vo