Lubos FISER (1935-1999)

Ce qui me plait chez Lubos fiser c'est qu'il m'entraîne dans des ambiances musicales très singulières et surtout d'une grande teneur dramatique. Chaque oeuvre semble s'appuyer sur une idée solide très bien argumentée. J'adore par exemple la montée en intensité du violon solo dans Crux alors que la percussion se résigne à un jeu très minimaliste, s'appuyant sur une cadence à deux coups, imperturbable et qui augmente sa pression que très progressivement. Il y a comme une sensation de fatalité ou d'inébranlable dans cette musique et c'est formidable comme Lubos Fiser arrive à véhiculer autant d'énergie et d'intensité dramatique par un simple duo entre le violon et la percussion. Le compositeur présente le violoniste Gidon Kremer comme l'un de ses meilleurs interprètes. Le Lamento pour la destruction de la ville d'Ur pour soprano et baryton, trois narrateurs, deux choeurs mixtes, cloches et deux conducteurs, sur un texte sumérien, développe une toute autre atmosphère, presque théâtrale par moment. Elle débute sur une intervention brutale et viscérale d'un des narrateurs, suivi de celle toute aussi intense des choeurs puis du chant douloureux du baryton:

L'oeuvre fut composée en 1970. Elle part de l'ancien texte sumérien de 5000 ans. Ce texte a été déchiffré aux Etats-Unis et l'auteur l'a emprunté de l'Institut Oriental à Prague. A l'origine, il a écrit la musique sur ce sujet comme un grand avertissement prémonitoire contre la destruction de la vie. On ne sait pas si la cause de la terreur était une influence naturelle ou cosmique. En tout cas nous pouvons entendre l'accent actuel dans la musique. La composition a été travaillée aussi comme ballet en 1978 sur une mise en scène de P. Weigl et une chorégraphie de K. Kura, au Théâtre Smetana à Prague.

Ce n'est pas l'oeuvre qui m'intéresse le plus même si je reste sensible à sa portée dramatique et à son orchestration, sa déferlante de cloches et de percussions, le rôle des voix solistes et des choeurs, l'inquiétude, voire la terreur que cette sorte d'oratorio instaure d'une certaine manière. Le propos est saisissant. Double pour orchestre a une construction intéressante, une oeuvre infiniment contemporaine dans sa physionomie globale qui délimite des épisodes musicaux de style baroque et classique par la répétition implacable d'une cellule de quelques notes, atonale et particulièrement tendue, pas toujours dans la même orchestration et augmentant en intensité à chacune de ses interventions, sauf peut-être vers la fin. J'adore le contraste entre les épisodes classiques et cette tension de quelques notes même si je ne cerne pas exactement le but recherché par le compositeur. Peu importe d'ailleurs car une musique peut bien avoir sa part de mystère. A l'auditeur de se faire sa propre idée.

La musique qui me captive le plus est finalement la moins originale, la moins atypique. Il s'agit de sa Sonate pour choeur, piano et orchestre d'une grande force dramatique. J'ai adoré les jeux de l'orchestre, du piano et des choeurs, une sonate très différente de celle pour même formation de Beethoven mais qui me plait au moins autant. Elle me procure de belles émotions. Chacun des trois éléments fondamentaux qui constituent cette sonate, choeur, piano et orchestre, porte sa part d'intensité dramatique et son facteur d'émotion. Très belle réussite!..Pour la petite histoire:

L'oeuvre fut composée en 1981. Elle part à l'origine du poème de Frantisek Halas "Le Déluge", mais la Radio qui avait commandé la composition, a refusé le texte. Il y avait des craintes de son interprétation politiquement inopportune. Pour cette raison, Fiser n'a laissé chanter la chorale qu'en syllabes. Il a cru que la musique composée sur un ton dramatique et finissant dans Des Majeur - Foi en insoumission à l'époque des ténèbres politiques - était assez compréhensible.

Eléments biographiques:

Lubos Fiser, né en 1935, ancien élève de l'Académie des Arts Musicaux à Prague, compte parmi les compositeurs très originaux. Il s'est familiarisé avec plusieurs techniques de composition du XXème siècle y compris les plus nouvelles, mais toujours au niveau de l'inspiration impulsive. Son oeuvre représente une synthèse difficile à classer. il écrit des oeuvres d'une concision extrême, ne diluant ni le sujet ni les modes de composition. Souvent, il travaille avec des contrastes frappants et le coloris expressif des instruments et des voix. Pour une partie considérable de son oeuvre, Fiser a choisi des sujets philosophiques - citons quelques noms qu'il a célébrés dans ses compositions: Michelangelo, Goya, Dürer, Goethe, Einstein, Brezina...Mais il ne compose pas de manifestes d'esprit, il touche des pensées ou des personnalités au niveau du symbole et de l'allusion d'émotion. Ainsi sont conçus les opéra de Lubos Fiser - Lancelot et Faust Eternel, écrit pour la télévision ainsi que le ballet Le Labyrinthe du Pouvoir. L'auteur a gagné plusieurs prix pour ses oeuvres, chez nous et à l'étranger.

L'oeuvre qui m'a le moins intéressé, lors de cette redécouverte, est Istanu pour narrateur, percussion et flûte. Toutefois, je ne dirais pas que je déteste non plus. En fait, quelque chose me retient dans cette composition particulièrement dépouillée et austère: ce sont les interventions de la flûte solo dont le son est envoûtant, très attirant:

Le Mélodrame Istanu (1980) emploie de nouveau des textes vieux de plusieurs milliers d'années - cette fois-ci des originaux hittites. Istanu c'est le nom du soleil, le dieu le plus haut, accueilli chaque matin par les prêtresses initiées. Leur prière signifie l'amour, le bonheur et la sérénité. En même temps, elle symbolise la fertilité et elle ne manque pas d'allusions érotiques. la composition sur une courte surface reflète tous ces niveaux ainsi que l'amour de l'auteur pour toutes les couleurs de la vie.

Luboš Fišer, né le 30 Septembre 1935 à Prague, est mort le 22 Juin 1999. On ne l'a pas su...

Ce concerto pour 2 pianos et orchestre n'est pas mal, je trouve.



https://www.youtube.com/watch?v=Xl0Tfmy5NwI

joachim a écrit:

Luboš Fišer, né le 30 Septembre 1935 à Prague, est mort le 22 Juin 1999. On ne l'a pas su...

Déjà 21 ans qu'il est mort et effectivement je l'ignorais aussi. Il faut dire que je n'ai rien découvert d'autres que les oeuvres que j'ai déjà mentionnées plus haut et qui tiennent sur un CD. Je suis entrain d'écouter son Concerto pour deux pianos et orchestre pendant que j'écris. C'est vrai qu'il s'en dégage une certaine ambiance. Je suis assez séduit par la sonorité des pianos. Elle a quelque-chose de troublant. Par moments, c'est une musique assez inquiétante et même mystérieuse qui, porteuse d'une certaine intensité dramatique lorsque l'orchestre intervient, sait également jouer avec les silences, des micro-silences avant chaque rebondissement. Je ressens une oeuvre inspirée dans laquelle il se passe quelque-chose, dans laquelle s'y développent et s'emboîtent des contrastes saisissants entre, par exemple, la puissance de l'orchestre et la douceur insolite d'un des deux pianos. Il arrive que l'orchestre gagne tout l'espace d'expression, profitant alors du mutisme des solistes. Rassurons-nous, ce mutisme ne s'éternisera pas et ceux-ci accéderont à leurs moments de pleine autorité, avec accélération et détermination. A la toute fin, l'orchestre imposera la sienne, néanmoins, les dernières notes seront pour les pianos, sans fracas, laconiques.

Symphonie n° 1 (1955/56)



https://www.youtube.com/watch?v=Qy9lGdCig54


Symphony n° 1 (1955-1956)

1. Sonata 0:00
2. Song 6:52
3. Rondo 14:32

Symfonický orchestr Česk(oslovensk)ého rozhlasu v Praze (Prague Radio Symphony Orchestra), conducted by Vladimír Válek


Si l'on pense à Luboš Fišer, c'est soit à sa musique de film multi-stylistique - pour laquelle on pourrait l'appeler Ennio Morricone de Tchécoslovaquie - soit à ses œuvres de concert pour la plupart atonales, très sérieuses, intenses et expressives. Le style personnel de Fišer peut déjà être entendu dès sa troisième sonate pour piano de 1960. Quatre ans plus tôt, lorsqu'il terminait sa première symphonie alors qu'il était encore étudiant au Conservatoire de Prague, il n'y avait encore aucun indice, mais pur et néoclassicisme primitif.