Maurice DELAISTIER (né en 1951)

Ne délaissons pas Delaistier! C'est ce que je me suis dit en écoutant ses "Chants sérieux" pour ténor,clarinette,piano et quatuor à cordes dont j'en aime,non seulement le chant de James Oxlay,mais aussi le jeu insolent et grave des instruments dans le traitement parfois brutal du son. Je me suis demandé ce qu'il pouvait composer aujourd'hui; un opéra,une symphonie,un quatuor,d'autres chants...? Compose-t-il encore? Que fait cet homme,ce poète qui se ballade dans un parc jonché de grands arbres que l'automne a rendu impudiques? ...La pochette du cd...elle est belle,significative d'un penseur solitaire,seul avec lui-même,dans la fantaisie de ses pensées,de celles que chacun de nous peut avoir en se promenant à travers champs,à travers bois. Peut-être conçoit-il dans son propre imaginaire une nouvelle musique de chambre,un nouveau chant? Mais à quoi bon toutes ces questions même si je me fais du bien en me les posant.
Les questions ont souvent chez moi plus d'importance que les réponses potentielles qui pourraient éventuellement en découler,sauf si cette réponse est bien sûr la nouvelle oeuvre,celle qui rompra d'un trait un silence de créateur un peu trop long.

 Né en 1951 à Paris, Maurice Delaistier est l'exemple-même du compositeur que sa formation principalement autodidacte (c'est à dire nourrie d'éclats nés de sporadiques rencontres avec des personnalités aussi diverses qu'Alain Kremski,Ivo Malec) n'enferme dans aucune posture prédéterminée et prépare aux expériences les plus diverses. Ses créateurs - les ensembles "Musique Oblique","Ader",la violoncelliste Isabelle Veyrier ou la harpiste Brigitte Sylvestre - en témoignent aisément.

Liste non exhaustive de ses oeuvres:

___LITANIES pour 14 guitares,piano et percussions,créé en 1975
___RITES pour baryton,choeur mixte et ensemble,créé en 1984
___EXIL pour 7 instruments,créé en 1989
___WIS AUS DER FERNE...,trio pour piano,violon et violoncelle,créé en 1991  
___QUATUOR A CORDES,créé en 1993  
___MIGRATIONS pour 11 instruments,créé en 1993
___D'UN PAYS FERTILE pour guitare seule,créé en 1995
___LA MEMOIRE DE L'EAU pour soprano et 5 instruments,créé en 1995
___CHANTS SERIEUX pour ténor,clarinette,piano et quatuor à cordes,créé en 1998
___DANS LA LUMIERE DES MOTS-VIGILES pour voix et ensemble,créé en 2000  

Je ne trouve pas Delaistier sur youtube, ^^ Ca fait déjà plusieurs fois que yotuube ne connait pas des compositeurs ! Pas cool ca, je vais peutêtre voir sur deezer !

Tu auras du mal à trouver des compositeurs comme DELAISTIER et BOSSEUR sur Youtube. Les raisons? Volonté des compositeurs eux-mêmes? Le fait qu'ils ne fassent pas (ou plus) partie de l'avant-scène de la musique contemporaine en France comme DALBAVIE ou DUSAPIN? Je ne saurais pas trop répondre. Les disques que je possède d'eux datent déjà des années 90/2000 et je n'ai rien vu paraître depuis ni entendu parler d'une création d'une nouvelle oeuvre. Il y en a plusieurs comme ça dont on apprend l'existence un jour,au hasard d'un bac et parfois parmi des cd qui n'ont rien à voir avec le classique et le contemporain. Je pense par exemple à PATRICE SCIORTINO que j'avais découvert par le biais d'un poème symphonique très intéressant; EDGAR POE. Et on s'aperçoit que ce gars déjà né en 1922 est l'auteur d'une pléiade d'oeuvres allant de la musique pour quelques instruments à la symphonie. Qu'il a 89 ans s"il est toujours de ce monde et qu'il a oeuvré toute sa vie au service de la musique.

C'est dommage...

__CHANTS SERIEUX pour ténor, clarinette, piano et quatuor à cordes, créé en 1998 - sur des poèmes de William Blake, Kyto Karyotakis, John Dowland.

<<Il s'agit d'une commande du Festival Musicavoix, créée à Evreux par James Oxley (ténor) et l'Ensemble Ader en octobre 1998. Le lyrisme est ici très dépouillé et secret, très intérieur. La beauté de la langue anglaise résonne avec le souci que chaque mot en soit intelligible, mise en valeur par une écriture harmonique où règne un "sentiment tonal" utilisé de façon tout à fait spéciale.>>

La musique de Maurice Delaistier ne fut par aucune de ses oeuvres une émotion foudroyante, que ce soit par le Quatuor à cordes de 1993 que j'ai en complément des deux quatuors de Pierre Jansen ou par les Chants Sérieux. Le style est austère, âpre, frappé d'une grande intériorité. J'ai l'impression de pénétrer les sentiments les plus profonds et intimes du compositeur. Ces "Chants Sérieux" sont plutôt d'un genre doux, dépouillé et mélancolique avec des relents de musique ancienne: j'y retrouve cette beauté âpre et dénudée qui a parfois ce pouvoir d'envoûtement sur moi. Sans compter la voix de James Oxley à laquelle je suis très sensible et qui renforce ce pouvoir d'envoûtement. Un éclat de beauté.

__WIS AUS DER FERNE..., trio pour piano, violon et violoncelle, créé en 1991.

<<Il s'agit d'une commande de Musique Oblique et de l'AFAA, créée à l'institut français de Budapest par l'Ensemble Musique Oblique en janvier 1991. Le titre - "Comme venant du lointain..." - indique un rapport à la mémoire. L'amour de certaines oeuvres de musique de chambre du passé nourrit en effet cette pièce, la traverse de bout en bout, avec une matière initialement sauvage et exacerbée où les instruments semblent tirer d'eux-mêmes les figures les plus folles, et dont la ligne s'épure peu à peu pour aboutir à une sorte de désert sonore.>>

Oui, effectivement, il est bien de parler d'épure, de silence, d'ascétisme et de désert sonore. Celles et ceux qui chérissent la forme classique se trouveraient sans doute déformés ou plutôt désappointés par une poétique âpre et austère qui échapperait inévitablement à leur compréhension. Je ne suis moi-même pas sûr de comprendre le sens de ce trio, seulement sûr que ce sens n'est pas incontournable dans ma quête du plaisir, plaisir qui n'est ici qu'intellectuel et cérébral, plaisir qui n'est pas de la même essence que celui que j'éprouve en écoutant une musique bien plus mélodieuse et sentimentale.

__DANS LA LUMIERE DES MOTS-VIGILES pour voix et ensemble, créé en 2000.

<<Cette oeuvre répond à une commande de l'Ensemble Ader et fut créée par Jody Pou (soprano) et l'Ensemble Ader sous la direction de Pierre Calmelet le 17 juin 2000 au Forum Culturel du Blanc-Mesnil sur un texte en allemand de Paul Celan. Les poèmes de Paul Celan utilisés dans cette pièce y figurent soit en entier (II.V.) soit sous forme de fragments (I.III.IV), s'amenuisant parfois jusqu'à n'offrir que quelques mots. Ils sont extraits du recueil "Die Niemandsrose" (La Rose de personne), ou bien d'un choix de poèmes réunis par l'auteur en 1967. J'ai eu envie d'une ligne vocale qui puisse devenir très pure, suspendue, presque enfantine aussi par moments, dans le voisinage de cette "lumières des mots-vigiles" dont parle Celan, et qui donne son titre à ma pièce. L'oeuvre est chantée en allemand et comporte cinq parties séparées. Elle est dédiée au compositeur Olivier Greif.>> Maurice Delaistier.

Je crois que ce qui me touche le plus dans la musique de Maurice Delaistier ce sont ces moments d'une brutalité imprévisible, fulgurances-éclair qui me transpercent émotionnellement, avec un piano martelé particulièrement corrosif. Il y a aussi un passage comme ça dans le Trio pour piano, violon et violoncelle, d'une violence sonore électrisante, d'autant plus efficace dans l'effet qu'elle surgit de l'épure, du silence, peut-être du murmure. Ces rares moments ont le don de me figer dans l'effroi. Dans cette oeuvre aussi, j'y entends comme un écho de musique ancienne ou baroque. Cette filiation m'a plu. L'austérité et l'âpreté qui caractérisent assez bien la musique de Delaistier, même si celle-ci ne se limite pas à ces deux qualités, me sont devenues des amies précieuses lorsque j'écoute ses oeuvres. J'aime bien son Quatuor à cordes aussi.

A propos du Quatuor à cordes:

Composé en 1992 à Londres à la demande du "Lyric String Quartet grâce à une bourse "Villa Médicis - Hors des murs", le Quatuor à cordes de Maurice Delaistier est en un seul mouvement (20'32"). Telle l'oeuvre d'un compositeur juvénile, il éclate d'ardeur et d'idées musicales effervescentes, certaines imposant une énergie fondamentale bien proche du swing jazzistique, d'autres surprenant par de grandes recherches de couleurs tantôt blafardes tantôt éclatantes. Loin d'être un kaléidoscope d'instantanés, ce quatuor frappe par son incontestable unité. La musique semble s'y inventer à chaque instant. Quoi de plus précieux? Frank Langlois

Il m'arrive parfois de glisser dans un cycle normalement consacré à un compositeur, comme en ce moment Pierre Jansen, un "artiste invité", c'est-à-dire une oeuvre ou un album d'un autre compositeur avec lequel je trouve un lien, une éventuelle corrélation. C'est le cas, à mon sens, entre Maurice Delaistier et Pierre Jansen. Je trouve qu'il y a des points de caractère qui se ressemblent dans l'approche musicale de l'un et de l'autre: une musique sévère, âpre, sans grande concession, surfant souvent entre tonalité et atonalité, plus introvertie qu'extravertie, sans lyrisme exacerbé, pas d'un lyrisme forcément inexistant, davantage contenu et brutalisé chez les deux compositeurs par une versatilité brusque, sèche, peut-être plus tranchante encore chez Delaistier. Effectivement, son quatuor à cordes me semble plus abrupte et sec que ceux de Pierre Jansen avec lesquels il est couplés. Il me passionne moins que le premier quatuor de Jansen, peut-être autant, voire plus que le Second... Il y a, pendant un instant seulement, cette beauté insaisissable, presque sous forme d'errance cérébrale, que je recherche parfois dans ce genre de musique pour cordes, c'est si intimiste, si intérieur, d'une émotion si subtile...

J'ai réécouté l'album Chants sérieux que j'ai déjà évoqué plus haut, qui contient trois oeuvres:
___Chants sérieux pour ténor, clarinette, piano et quatuor à cordes, une formation instrumentale qui a tout pour me plaire, d'autant plus que la voix du ténor James Oxley me plait beaucoup.
___Wie aus der Ferne... pour piano, violon, violoncelle
___Dans la Lumière des Mots-vigiles pour voix et ensemble, avec la soprano Jody Pou. De toute évidence, c'est l'oeuvre qui me procure le plus d'émotion des trois présentées ici. Dire que la première fois que j'avais écouté cet album de Maurice Delaistier j'avais regretté cet achat avec l'idée de le rapporter et de faire un échange, étant donné qu'à cette époque c'était encore possible. Puis, un je-ne-sais-quoi - n'appelle-t-on pas cela un doute? - m'a incité à lui accorder une seconde chance. La seconde écoute m'apporta un ressenti plus positif que le précédent et la troisième encore mieux. Désormais, c'est un disque que j'adore, comme une impression d'avoir percé le mystère d'une musique certes particulière, pas de celles qui se livrent instantanément, mais de celles qui s'apprivoisent parce qu'elles exigent une certaine persévérance, lorsque l'on creuse la première couche de glace avant de bénéficier de la chaleur d'en dessous. La musique c'est aussi cela: de séduction immédiate ou non immédiate, parce que nous-mêmes, hommes et femmes, pouvons être de séduction immédiate ou non immédiate, qu'une richesse intérieure peu se dissimuler ainsi derrière une austérité apparente, alors qu'une beauté en surface peut dissimuler une austérité intérieure. J'aime les deux parce que la musique a besoin des deux. Quant à l'austérité, elle n'a jamais été un obstacle à mon appréciation d'une oeuvre musicale ni même picturale, ce qui ne m'empêche pas non plus de rester friand de musiques de séduction immédiate, tout dépendra de l'humeur dans laquelle je vais me trouver.