Les jeux vidéo musicaux nuisent-ils à l'apprentissage de la musique ?
Ça m'agace de voir mes enfants jouer à ça. S'ils passaient autant de temps à jouer de la guitare qu'à appuyer sur des boutons, ils seraient sacrément bons aujourd'hui." Nick Mason, le batteur des Pink Floyd, n'aime pas les jeux vidéo musicaux, du type Rock Band ou Guitar Hero. Bill Wyman, l'ancien bassiste des Rolling Stones, ne les aime pas non plus."Ces jeux n'encouragent pas les gamins à apprendre", estimait-il sur les ondes de la BBC lors du lancement de Rock band Beatles. "A cause de ces jeux, de moins en moins de gens sont prêts à s'investir dans l'apprentissage d'un véritable instrument."
Jouer à Guitar hero et jouer de la guitare sont deux expériences très différentes : d'un côté, une réplique de l'instrument en plastique, le contrôleur, sensiblement plus petit qu'un instrument réel, doté de seulement cinq boutons sur le manche et d'une molette. Pour la plupart des musiciens, s'attaquer à un jeu musical est souvent un parcours du combattant, y compris lorsqu'ils jouent avec des morceaux qu'ils ont eux-mêmes écrits. Scott Ian, le guitariste du groupe de hard rock Anthrax, en a fait - comme d'autres - l'expérience.
L'inverse est-il vrai ? La pratique des jeux musicaux est-elle un handicap pour l'apprentissage d'un instrument ? "Ce sont deux choses différentes", estime Etienne Gegout, vice-président de l'association des professeurs d'éducation musicale et spécialiste de l'utilisation des nouvelles technologies dans l'enseignement de la musique. "Entre un bouton et une corde, les techniques sont tellement différentes qu'il est difficile de parler d'aide ou de handicap. Un jeune qui joue à Guitar hero et souhaite se mettre à la guitare devra apprendre beaucoup de choses, mais il n'aura pas besoin de désapprendre des réflexes."
Outre le contrôleur, il existe deux différences principales entre le jeu et l'instrument. Le jeu met l'accent sur la rythmique, au détriment de la sonorité : le but est de suivre le rythme de la chanson, mais le joueur ne peut pas moduler les notes comme le fait un guitariste. Et le jeu fait beaucoup plus appel au visuel qu'à l'écoute, au moins dans les premiers temps ; le joueur reproduit sur son contrôleur le défilement des notes à l'écran, et peut jouer sans solliciter particulièrement son oreille. Toutefois, note Etienne Gegout, pour parvenir aux meilleurs scores, les joueurs doivent aussi développer leur audition : "Pour que le joueur puisse dépasser certains paliers, il doit apprendre à anticiper les notes qui vont suivre. Et pour cela, il doit connaître le morceau auditivement : dans les niveaux de difficulté les plus élevés, se contenter de suivre ce qui défile à l'écran est insuffisant."
UNE SOURCE DE MOTIVATION
Si les jeux vidéo musicaux permettent d'acquérir intuitivement des notions qui peuvent être utiles à l'apprentissage d'un instrument, les deux exercices restent trop éloignés pour qu'il soit difficile de mesurer un impact direct, positif ou négatif. En revanche, les jeux vidéo musicaux peuvent constituer une source de motivation qui débouche sur l'apprentissage d'un instrument réel. Lors d'une étude menée en 2007 auprès d'un millier de jeunes britanniques par Youth Music, une association qui vise à promouvoir l'apprentissage de la musique, 19 % des répondants estimaient que le jeu vidéo musical les avait incités à démarrer la pratique d'un instrument. Les joueurs pourraient représenter un vivier important de futurs musiciens : début 2009, les différentes versions de Rock band s'étaient vendues à 12 millions d'exemplaires dans le monde, ; Guitar hero à 25 millions ; et Singstar à 16 millions.
"Le jeu a un côté fascinant. Dans l'apprentissage d'un instrument, le plaisir est très différé, il faut travailler longtemps avant d'obtenir des résultats. Avec le jeu, le plaisir est relativement immédiat", note Etienne Gegout. Ce palier de difficulté pourrait aussi décourager les élèves venant du jeu, mais ce n'est pas automatique, estime l'enseignant. "Dans mon collège, des élèves sont venus au club de guitare par le biais du jeu, et s'y tiennent. Le plus important c'est la motivation. Quand elle est présente, la difficulté s'estompe. Chacun a besoin d'un moteur : cela peut être un morceau qu'on veut pouvoir jouer, ou un jeu vidéo."
Certains musiciens professionnels ont d'ailleurs trouvé la motivation pour se mettre aux jeux musicaux. Comme Joe Perry, le chanteur du groupe Aerosmith, qui estime dans une interview que c'est aussi une question de génération. Lui a trouvé une bonne raison de s'y mettre : d'après l'éditeur du jeu, Guitar hero Aerosmith – une édition spéciale consacrée au groupe – lui a rapporté davantage d'argent que n'importe lequel de ses albums.
Damien Leloup
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/10/14/les-jeux-video-musicaux-nuisent-ils-a-l-apprentissage-de-la-musique_1253694_651865.html#ens_id=1233369&xtor=AL-32280151
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