"Combien pour Dvorak ? Qui souhaite déguster du Tchaïkovsky ?": au "concert à la criée" de l'Orchestre de Chambre de Toulouse, chacun s'époumone haut et fort pour tenter de faire interpréter le compositeur de son choix par les musiciens.
Carnet de notes et micro en mains, Gilles Colliard, directeur musical de l'orchestre et violoniste virtuose, prend les "commandes" de mélomanes avertis et exigeants, qui crient à tue-tête les noms de leurs oeuvres préférées, sélectionnées dans un "menu" proposant différents "plats".
Après des "amuse-bouches", courts morceaux musicaux servis en préambule, le public est convié à choisir successivement quatre "entrées", cinq "plats", deux "fromages" et trois "desserts", parmi une trentaine d'oeuvres baroques et contemporaines, allant de Bach, Lully ou Vivaldi, à Dvorak, Rodrigo ou Strauss.
Ambiance assurée: lorsque retombe ce sympathique tumulte, souvent sur un vote à mains levées, le silence s'impose brièvement dans le vaste auditorium de l'ancienne église de Saint-Pierre-des-Cuisines avant que ne commencent à vibrer les cordes des douze instruments de l'ensemble.
Testé pour la première fois en septembre 2007, le "concert à la criée" a fait salle comble trois soirées consécutives à Toulouse, témoignant de "l'engouement terrible d'un public enthousiaste", indique Gilles Colliard, à l'origine de cette initiative originale.
"Il n'y a jamais une place disponible lorsqu'on présente ce genre de manifestation. Les gens hurlent à n'en plus pouvoir les oeuvres qu'ils veulent entendre", témoigne le directeur de l'ensemble, une Société coopérative de production (Scop) dont la philosophie est de ne "négliger aucun public", ce qui l'amène à jouer dans des écoles, des hôpitaux et des usines, entre des tournées internationales, dont la dernière l'a conduit au Japon.
"J'aime bien partager la musique. L'idée, avec ce concert, c'était de combler ce fossé qu'il y a souvent entre le public et les interprètes. J'avais envie de faire participer le public", poursuit-il.
Le "concert à la criée" constitue un défi pour les musiciens. Ils montent sur scène sans savoir jusqu'au dernier moment ce qu'ils vont jouer, avec une centaine de pages de partitions d'une trentaine de compositeurs différents, représentant au total plus de six heures de musique.
"C'est un gros challenge pour l'orchestre, c'est le concert le plus difficile, et à la fin on sent qu'on a beaucoup donné", ajoute Gilles Colliard. Les musiciens doivent s'adapter constamment, car ils utilisent deux types différents de violons, d'altos, de contrebasses et de violoncelles, selon l'oeuvre interprétée, baroque ou contemporaine, souligne-t-il.
Mais pourquoi un concert présenté sous forme de menu?
"J'ai très souvent fait des rapprochements entre certaines saveurs et certaines musiques. Et puis, tout d'un coup, le parallèle s'est instauré avec cette idée de la criée", explique Gilles Colliard.
"On a rien laissé dans l'assiette" commentait, souriant et satisfait, Pierre Juskiwenski, l'un des quelque 400 mélomanes, venu lundi soir "zapper d'un morceau musical à un autre". "Il est bon de désacraliser la musique classique, de la rendre plus accessible, tout en se gardant de réduire un acte culturel à un objet consommable".