Spivakov toujours sur le ring musical
« Je ne crois pas être exceptionnel, affirme Vladimir Spivakov, avec un peu d’efforts, chacun peut atteindre des résultats similaires ». C'est-à-dire, faire partie des meilleurs violonistes du monde, diriger deux orchestres de renommée internationale, présider la Maison de la musique de Moscou et organiser depuis dix-sept ans le festival de musique classique à Colmar.
« Le talent se nourrit d’un travail d’esclave », affirme Vladimir Spivakov. Il renonce avec courage à une promenade au bord de la mer en faveur d’une heure de répétition. « J’ai appris à dire non aux tentations, témoigne-t-il. J’arrive à Monte-Carlo. On me loge dans une chambre de luxe avec vue sur la mer. Je sors sur le balcon, j’observe les gens profiter du beau temps, se balader sur les quais et s’embrasser. J’y reste pendant un quart d’heure, je reviens dans ma chambre, je ferme les rideaux et je me mets au travail », raconte-t-il.
Spivakov apprend à travailler presque sans relâche à partir du moment où il rentre en 1945, à l’âge de six ans, à
l’école spécialisée du conservatoire de Saint-Pétersbourg. A treize ans, il décroche son premier prix au concours des Nuits blanches. Pendant ses études, le jeune Spivakov apprend non seulement à jouer du violon et à chanter des gammes, mais aussi à faire de la boxe pour se protéger des voyous.
« Nous, garçons d’une école de musique, avons été souvent battus par des bandes d’ados qui nous attendaient à la sortie des classes. Ils brisaient nos violons, les mettaient en éclats. Un jour, j’ai décidé de mettre fin à ces rixes. Je me suis inscrit à la section de boxe. Trois mois après, quand nous nous sommes rencontrés face à face, j’ai placé soigneusement mon violon sur le sol et, pour la première fois de ma vie, j’ai riposté. Par la suite, la boxe m’a encore beaucoup aidé dans la vie », raconte le musicien.
Après ses études à Saint-Pétersbourg, Spivakov entre au Conservatoire de Moscou et perfectionne son art sous la houlette de violonistes remarquables, les professeurs Iouri Inakilevitch et David Oïstrakh. A sa sortie, Spivakov participe à plusieurs concours internationaux et en ramène une ribambelle de prix : grand prix au concours international de Marguerite Long et Jean Thibault à Paris en 1965, deuxième prix au concours Paganini à Gênes en 1967 et premier prix au concours de Montréal en 1969.
Le violoniste surdoué se fait remarquer auprès des dirigeants de l’état soviétique. Ils le laissent partir faire des tournées internationales afin de promouvoir l’image de l’URSS dans les pays étrangers. Dans les années 70, Spivakov avait déjà parcouru toutes les grandes capitales européennes. Pourtant, vers la fin de cette même décennie, il ne souhaita plus apparaître seul sur scène et forma son propre orchestre de chambre. A cette épo-que, Spivakov avait déjà appris le métier de chef d’orchestre et le fait de rassembler ses acolytes représentait un prolongement naturel de ses activités.
C’est ainsi que les Virtuoses de Moscou sont nés. Spivakov n’y a invité que des hommes prêts à voyager et sans contraintes familiales. Pour expliquer sa méfiance envers les femmes musiciennes, il aimait citer Toscanini qui disait que « si une femme est belle, elle gêne le travail de l’orchestre, si elle est laide, c’est moi qu’elle gêne ». Leur côté macho n’a pas empêché les Virtuoses de Moscou de devenir mondialement célèbres en très peu de temps. Aujourd’hui, comme autrefois, ils conti-nuent à se rendre dans le monde entier. Ils viennent encore de donner des concerts à Prague, Rome, Londres, ainsi qu’à Nijni Novgorod, Saratov et Astrakhan.
« Les concerts que je donne dans des pays occidentaux sont beaucoup mieux organisés, confie Spivakov. Douze mois avant, je connais les horaires de mes répétitions. Je ne pense qu’à ma musique. Je sais qu’on viendra me chercher, qu’on me logera à l’hôtel, qu’on m’accompagnera à la répétition, et qu’on m’apportera un en-cas à l’entracte. Mais, seuls les concerts que je donne en Russie m’apportent une profonde satisfaction morale, affirme le maître. Les Russes vont aux concerts de musique classique pour étancher leur soif spirituelle. En Occident, c’est plutôt une obligation sociale. »