Ian Bostridge, ténor. Portrait
par Alexandre Pham
A l'occasion de la sortie chez Emi Classics de l'album "Great Handel", nous avons rencontré le ténor Ian Bostridge. Portrait de l'artiste à l'issue de notre conversation.
Quand on l'interroge sur Haendel, Ian Bostridge ne tarit pas d'éloges quant au chant baroque, au style inégalable de l'auteur de Giulio Cesare, d'Ariodante ou du Messie.
Il a toujours été saisi par la passion et la violence des contrastes émotionnels qui sont à l'oeuvre sous la plume du Saxon. Si ses opéras expriment les ultimes élans et vertiges de l'âme humaine, ses oratorios avec la même intensité disent l'amour divin, la prière et la ferveur. Choriste puis soliste, Ian Bostridge a toujours chanté Le Messie. Au studio, pour son enregistrement paru chez Emi, dédié aux airs pour ténor de Haendel (Great Handel), il chante l'air du Messie, "Ev'ry valley", surtout aborde l'air d'Ariodante "Scherza Infida" (1735), ample lamento originellement pour voix de castrat: en dialogue avec le basson, aux résonances sombres, voire lugubres, Bostridge a "volé" cet air de déploration, de renoncement et de résistance d'un amant blessé, en le transposant pour sa voix de ténor.
Le programme est vaste: il couvre tous les aspects d'un génie "protéiforme". La carrière de Haendel "fut si variée et si longue que la résumer en un seul disque serait une tâche impossible, mais les éléments cruciaux sont présents ici", précise l'interprète.
De fait, l'album évoque la carrière du jeune italien, capable d'écrire plusieurs chef-d'oeuvres lyriques comme l'air "Cosi la tortorella", extrait de la Resurezzione dont la théâtralité romaine reste inouïe pour un luthérien d'origine.
En enregistrant ce songs book qui dresse le portrait du ténor haendélien, Ian Bostridge poursuit aussi son travail spécifique sur la langue: chanter signifie projeter un texte, porter le dramatisme d'une action vocale. Rien n'est plus vrai pour Haendel. Dans ses opéras, certes. Plus encore dans les ouvrages composés sur un texte anglais: ainsi Acis et Galatée à destination du riche James Brydges, futur Lord Chandos. Ici, le ténor fusionne totalement avec The Orchestra of the age of enlightenment conduit par Harry Bicket. En poète du verbe, ciseleur d'un or autant musical que linguistique, Bostridge, qui ailleurs aborde les lieder de Schubert en compagnie de son fidèle complice, le pianiste Leif Ove Andsnes, ou ceux de Wolf avec Antonio Papano (édités par Emi Classics également), atteint une intimité agissante dans la seule articulation du mot: ainsi, pour conclure cet album haendélien, le duo "As steals the morn" (" l'un des grands duos ténor/soprano de l'histoire de la musique": fragment trop bref de l'oratorio profane L'Allegro, il Moderato ed il Penseroso, avec la soprano Kate Royal) et surtout les trois airs extraits du dernier oratorio du compositeur, Jephté, composé de janvier à août 1751.
Ian Bostridge s'est toujours efforcé de capter la vérité de l'âme humaine. Son chant comme aspiré par l'ombre, qui confine parfois au murmure et à l'anéantissement pour mieux révéler la part sous-jacente de la psyché, sait poser en pleine lumière la part la plus précieuse du chant humain, son mystère et sa fragilité. Captivé tout autant par Debussy dont il a chanté en récital les mélodies, songe sérieusement à Pelléas. L'héroïsme rentré du personnage, son intensité psychologique offrent de nouvelles perspectives de travail. Le chanteur devrait aborder le rôle sur les planches de La Monnaie de Bruxelles pour la prochaine saison lyrique 2008/2009. Mais auparavant, il y aura sous la conduite d'Emmanuelle Haïm pour laquelle il avait participé à l'aventure d'un nouvel Orfeo de Monteverdi (Virgin Classics) où il déclâmait le rôle-titre, un nouvel enregistrement discographique, à venir sous peu,... Le Messie de Haendel.
Diseur, chantre de l'autre monde, traducteur des mondes inatteignables, Ian Bostridge poursuit sa quête de sens par le verbe, dans la musique. Il l'a encore démontré à Londres, au Coliseum, pour l'English National Opera, où il a incarné Gustav von Aschenbach dans Death in Venice de Benjamin Britten (mai 2007).
De quels rôles rêve donc encore l'artiste? Idomeneo, Billy Bud... Autant de voeux... bientôt exaucés lors du cycle de concerts qui lui sont consacrés au Barbican Center de Londres, tout au long de la nouvelle saison 2007/2008. Billy Budd, du 7 au 9 décembre 2007; Idomeneo le 14 mai 2008. En son pays, le ténor y chantera aussi les lieder de Schubert en compagnie de Dorothea Röschmann et de Thomas Quasthoff (le 14 janvier 2008) et aussi La passion selon Saint-Jean de Bach, le 14 mars 2008...
"Great Handel". Ian Bostridge, ténor. Orchestra of the Age of enlightenment, Harry Bicket, direction (1 cd Emi Classics).