La Serva Padrona

par Benjamin Ballifh

Après Pergolèse, Giovanni Paisiello reprend le sujet de la Serva Padrona en 1781 pour l'Impératrice Catherine II. Attilio Cremonesi revisite ce joyau du buffa napolitain avec un feu dramatique et vocal jubilatoire. Une révélation.

La Serva Padrona raconte, en écho aux événements troublés qui marquent l'Europe de la fin du XVIII ème siècle, la revanche des domestiques contre la prééminence de leurs patrons. La scène annonce les nouvelles configurations du pouvoir : aux débuts, Serpina, servante d'Uberto, renverse l'ordre initial, et épouse son "maître". Outre l'implosion des équilibres sociaux, c'est aussi la confrontation des genres, et là encore, l'intelligence du sexe dit faible, d'une malicieuse activité, pour séduire et tromper. La grandeur dérisoire d'un potentat de paille contre l'émancipation de la femme. Certes, la psychologie est parfois schématique mais les ressorts dramaturgiques fondés essentiellement sur l'opposition des caractères, offrent à la musique de Giovanni Paisiello, âgé de 41 ans, une succession de tableaux comiques, piquants, voire sarcastiques. Dans cet intermezzo buffa, qui obéit aux lois de la commedia dell'arte, l'homme, despote dans son gîte, est souvent caricaturé : un benêt mal dégrossi que la subtilité féminine défait avec maestrià.

Dès l'ouverture et tout au long des deux actes, l'ancien assistant de René Jacobs, Attilio Cremonesi, dirige La Cetra avec un souffle palpitant, soulignant le ressort principal de l'action, son énergie éruptive, sa nervosité explosive. Le travail sur les couleurs et la texture de l'orchestre s'avère éblouissant de finesse et d'expressivité : il exprime à merveille "le marteau" et "le tambour" (lire le livret intégralement traduit dans la notice) des coeurs, ici affrontés, enfin réconciliés. Bassons, hautbois, clarinettes, flûtes insolents, cordes électrisées : l'orchestre porte les chanteurs d'une admirable articulation. Ils ne sont pas uniquement vocalistes, habiles à sculpter nuances et accents du texte, en complicité avec un continuo bouillonnant d'idées, Cinzia Forte (Serpina) et Antonio Abete (Uberto) sont aussi de formidables acteurs, dont l'énergie du jeu éclaire ce qu'a pu être la représentation jouée à Poissy, en mai 2006, dont l'album est l'enregistrement.

Evidemment, Paisiello se souvient de l'opéra buffa de son prédécesseur Pergolèse, qui sur le même livret, a laissé "sa" Serva Padrona, composée en 1733, un chef-d'oeuvre musical, qui devait entre autres, déclencher la Querelle des bouffons à Paris, en 1752. Trente années plus tard, Paisiello donnait la sienne, dans un autre contexte social, culturel, surtout politique. La notice excellemment documentée, précise la difficulté avec laquelle le compositeur, alors au service de l'Impératrice Catherine II, dut choisir et composer un ouvrage pour la Cour impériale, en son château de Tsarkoe Selo, en septembre 1781. Sans librettiste, Paisiello adapta lui-même le texte napolitain préexistant, associant habilement poésie et musique, pour obtenir in fine, aux prix de maintes coupures et découpages plus ou moins heureux, au regard de la continuité dramatique, un ouvrage qui combla l'Impératrice dont on sait qu'elle avait un goût musical très arrêté.

Voici donc, non seulement une oeuvre de valeur qui démontre la pérennité d'un sujet et d'un genre, déjà aboutis, avec Pergolèse, mais dévoile le génie d'un compositeur qui de son vivant, fut un astre musical, estimé par ses pairs, et comblé de faveurs. Joseph Bonaparte lui alloua une pension à vie.

La Serva Padrona, 1781
Intermezzo buffa

Cinzia Forte, Serpina
Antonio Abete, Uberto
La Cetra,
Attilio Cremonesi, direction