Dans le domaine de la musique vocale du premier baroque, il est encore de nombreux compositeurs à découvrir, témoins du foisonnement créatif du début du XVIIe siècle. Tarquinio Merula est de ceux-là. Plus souvent cité comme un des premiers à poser les structures formelles des sonates da chiesa et da camera, il n’en reste pas moins un important compositeur de pièces vocales. Elles méritent d’ailleurs mieux que ce que les histoires de la musique en retiennent.
Bouillonnant personnage que ce Merula qui, après avoir publié son premier livre de madrigaux à Venise, comme tous ses contemporains, fut successivement organiste à Lodi puis auprès du roi de Pologne Sigismondo III Vasa, avant de revenir dans la péninsule italienne. Il fut également membre de l’Academia dei Filomusi de Bologne. Mais une curieuse affaire de mœurs faillit freiner sa carrière à Bergame…
Est-ce la stature de Monteverdi qui fait de l’ombre à Merula ? La musique de ce dernier n’a pourtant rien à envier à celle du Crémonais. Elle s’affranchit de la structure ancienne du madrigal polyphonique pour devenir plus concertante, dans la lignée des VIIe et VIIIe livres de madrigaux du père de l’opéra. Les pièces ne sont pas systématiquement à cinq voix, mais également en duo (" Va, va ch’io non ti credo ", " Amo l’e ver "), en trio (" Solca la nave mia ", " Disse Tirsi a Licori "). Les passages solistes peuvent y être nombreux (" Filli, deh Filli "), achevant de les faire basculer du côté de la monodie accompagnée. Côté instrumental, la basse continue y abandonne fréquemment son rôle de simple soutien harmonique pour participer activement à l’atmosphère (basses obstinées, rôle mélodique plus affirmé) et, plus d’une fois, des instruments concertants (deux violons, ici remplacés par des flûtes) viennent dialoguer avec les chanteurs.
Si le texte se cantonne aux habituelles plaintes amoureuses ou pastorales, son illustration musicale, elle, reste très diversifiée, parfois fondée sur un irrépressible rythme de danse (" Un bianco animaleto ", " Disse Tirsi a Licori "). Les figuralismes y sont nombreux (chromatismes sur " Piaghe a la mia piagha ", vocalises sur " Veloce " dans " Filli, deh Filli ", stile concitato de la guerre amoureuse dans " Schiera d’aspri martiri ", à l’imitation du Altre canti di Marti de Monteverdi, sauts mélodiques répétés au début de " Solca la nave mia " pour figurer les flots, etc.)
L’ensemble Suonare e Cantare a parfaitement compris l’engagement expressif que requérait ce théâtre en miniature, réalisant une parfaite alliance du verbe et de la musique. L’un et l’autre sont ici indissociables. Les chanteurs (dominés par Claire Lefilliâtre qui, après les Lamentations de Cavalieri, s’affirme comme une interprète sensible et incontournable dans ce répertoire) affichent une connivence et une unité de ton qui leur permettent également de mettre en valeur les passages solistes quand l’écriture l’exige. Les madrigalismes trouvent des interprètes sensibles, à l’écoute de la moindre intention du texte (silences terminaux de " Va, va ch’io non ti credo ", élan de " Disse Tirsi a Licori "). Les instruments participent de cette fête, autant la basse continue, qui sait donner le juste mouvement, surtout lorsqu’il est obstiné, que les cornets ou les flûtes (diminutions virtuoses du Baletto detto il Pollicio, fugue en imitation de La Benaglia).
Il est heureux que ce musicien, à réévaluer de toute urgence, ait trouvé auprès des Suonare e Cantare de si talentueux avocats. Espérons qu’ils gagneront à sa cause d’autres musiciens et mélomanes…
Ensemble Suonare e Cantare( ensemble baroque )
Pierre Verany / Night and Day 2001
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