Impressions personnelles:
Vanitas pour orchestre de chambre commence sur quelques sons de cloche, puis je perçois le scintillement d'un carillon, en est-il que le timide écho. J'ai d'abord l'impression d'une musique d'essence tonale qui tente de s'articuler, de prendre forme progressivement, chahutée par quelques dissonances bien situées. Elles en freinent l'élan: souvenons-nous des mots de l'auteur qui parle du "Tombeau" comme un genre musical de genre sombre et fantasque, offrant des tournures mélodiques et des structures harmoniques imprévisibles, voire déroutantes. C'est un peu dans cette configuration-là que l'oeuvre de Jean Lesage évolue, se construit au sein de ses propres tumultes. Il y a un son de percussion que j'aime particulièrement dans cette oeuvre. Elle peut passer pour un détail qu'on ne remarque pas forcément, mais elle produit un effet un peu magique à mon oreille. Au-delà de l'oeuvre, j'aime le concept de ces disques qui présentent les créations de trois ou quatre compositeurs que je ne connaissais pas. Je me dis toujours qu'il y aura au moins une oeuvre qui me marquera plus que les autres, voire le style d'un compositeur qui m'intéressera plus que les autres au point de vouloir l'approfondir, dans la mesure du possible. Jean Lesage est de ceux-là. Vanitas est une commande du NEM avec l'aide du Conseil des Arts du Canada.
Vanitas (2002) pour orchestre de chambre - par Jean Lesage:
<<Cette oeuvre s'inspire d'un genre musical en vogue au XVIIème siècle chez les luthistes, gambistes et clavecinistes français: le Tombeau. Ces compositions étaient souvent l'occasion pour un compositeur d'exprimer son chagrin à la suite de la disparition d'un collègue estimé. Les exemples de ce genre sont nombreux: "Tombeau de Blancrocher" par Froberger, "Tombeau de Blancrocher" de Louis Couperin, "Tombeau de Monsieur Lully" de Marin Marais, plus près de nous le "Tombeau de Couperin" par Ravel, "Pour un Tombeau sans Nom" de Debussy, puis "Tombeau" de Boulez pour ne nommer que quelques-uns. (J'aurais bien rajouté le "Tombeau de Maurice Ravel" de Lalo Schifrin que j'aime beaucoup.) Les Tombeaux de l'époque baroque sont généralement des oeuvres intimistes, au caractère sombre et fantasque, offrant des tournures mélodiques et des structures harmoniques imprévisibles, voire déroutantes. Il me semblait tout indiqué de revenir à cette touchante tradition dans le cadre de ce concert hommage posthume à Xenakis. Je me suis également inspiré ici d'une autre tradition, développée en parallèle à l'époque baroque dans le domaine de la peinture: les Vanités. Il s'agit le plus souvent d'une nature morte évoquant la destinée mortelle de l'homme, dans laquelle le peintre représente le caractère illusoire du luxe, des jouissances, des biens et des richesses de ce monde, qui mènent inéluctablement à la stupéfiante simplicité du tombeau. Cette mise en parallèle de métaphores violemment contradictoires fut très prisée au temps du baroque, et j'ai tenté de l'évoquer dans le domaine du sonore. Le principal déclencheur poétique de "Vanitas" reste peut-être cependant cette citation de Xenakis, qui résonne comme une sorte d'exergue à ma pièce: "L'homme enfin se réveille de son rêve millénaire pour découvrir sa totale solitude, son étrangeté radicale. Il sait maintenant que, comme un tzigane, il est en marge de l'univers où il doit vivre. Univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs comme à ses souffrances ou à ses crimes.>>