
Dès le début de la profession, en tout cas jusqu'aux premières années du 19ème siècle, un musicien n'a de chance de survie qu'à la cour d'un prince ou au service d'un évêque. Monteverdi, Bach ou Mozart ont dû montrer la même détermination, le même courage, bien souvent, pour se trouver un bon employeur. Et encore, pour qui connaît la biographie de ces génies, on sait leur difficulté de se trouver un patron suffisamment éclairé pour faire valoir leurs qualités comme il se devait.
La cour des Gonzague, grande famille princière attachée à la cité de Mantoue, est une famille amoureuse des arts, prête à dépenser des fortunes pour laisser exploser à son bénéfice l'imagination des meilleurs peintres, celle des architectes les plus hardis, des compositeurs les plus novateurs, des poètes les plus universels. Tous – Gastoldi, Rubens et le Tasse sont du nombre – collaborent librement, dans une atmosphère éminemment propice à la création inspirée. Les Gonzague forment assurément une famille qui sait vivre sans compter et conjuguer habillement passion du beau, sens du commerce, ivresse des plaisirs terrestres et dévotion sincère.
Dire que le duc Vincent aime la musique est une faible évocation de la réalité. Son père, Guillaume Gonzague avait déjà dépêché le grand
Giaches de Wert qui restera longtemps le compositeur principal de la cour. En 1590, le duc engage
Claudio Monteverdi comme violoniste et chanteur pour le service musical profane et pour les prestations de musique sacrée à la chapelle ducale de Santa Barbara. Le compositeur rencontre à Mantoue, deux musiciens
Salomone Rossi et
Ludovico Grossi da Viadana.
L'histoire de la musique a surtout retenu ce dernier nom en rapport avec les premiers essais de basse chiffrée , cette manière révolutionnaire de concevoir la musique, cette rupture avec la musique renaissance. Discret et dévot, Viadana est sans rapport direct avec la cour : il officie comme maître de chapelle de la cathédrale San Pietro. Monteverdi et lui se rencontrent et, même si les premiers opus en basse chiffrée de Viadana ne datent que de 1602, bien après l'arrivée de Monteverdi à Mantoue, les deux musiciens ne manquent pas d'échanger sur l'art de la composition.
Salomone Rossi, par contre, est un tout autre personnage. Membre d'une grande famille juive appréciée de la ville, Rossi est connu comme l'auteur d'un très curieux essai de conjugaison de la cantillation religieuse juive avec l'esprit de la musique moderne italienne. Esprit ouvert et moderne, il avait été engagé comme violoniste par le Duc Vincent et est donc amené à travaillé quotidiennement avec Monteverdi, ce qui explique sans doute en partie le constat analytique à la lecture de ses œuvres instrumentales : il adapte à l'instrument la technique d'écriture vocale de son collègue. On est bien dans un contexte de communication d'idées entre musiciens, comme entre artistes de domaines différents : le duc Vincent devait en être comblé !
Extrait du livret "Un bal à Mantoue", Festival musical de Namur 2017.
Marc Maréchal, musicologue et directeur de l'académie de musique d'Eghezée.

Le duc Vincent de Gonzague