La Symphonie no 45 en fa dièse mineur (les Adieux) Hob. I: 45, est une symphonie du compositeur autrichien Joseph Haydn. Créée à la fin de 1772, elle a la particularité d'être la seule symphonie du xviiie siècle dans cette tonalité.
Tout d'abord, voici l'article de Agora Vox datant de 2010 qui raconte très bien la genèse de cette symphonie : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/les-adieux-ou-la-musique-au-85162
Tout le monde, chez les amateurs de musique classique, connaît les liens de respect mutuel qui, au delà des différences de condition, unissaient l’aristocrate Nicolas Esterházy et son Maître de chapelle, le roturier Joseph Haydn, fils d’un charron du Burgenland. Mais tous les mélomanes savent également à quel point le génial compositeur était attaché aux musiciens de l’orchestre du Prince qu’il avait lui-même recrutés pour certains d’entre eux. La singulière histoire de la symphonie Les Adieux s’inscrit dans ce contexte relationnel particulier...
Dès 1770, le Prince Nicolas Esterházy, sa famille, ses serviteurs et ses musiciens partagent leur temps entre le palais d’hiver baroque d’Eisenstadt et le palais d’été que le Prince a entrepris de construire six ans plus tôt en Hongrie sur son terrain de chasse de Sűttőr (Fertőd), malgré les conseils négatifs de ses amis, effrayés par le caractère marécageux du lieu. Dénommé Esterháza, ce palais grandiose, très largement inspiré du château de Versailles, ne sera achevé qu’en 1784 et comportera, parmi ses 126 pièces, trois espaces entièrement dédiés au spectacle : un théâtre de marionnettes, une salle de concert et un opéra.
1772. Bien que le palais d’Esterháza soit encore très loin d’être achevé, le Prince Nicolas est déjà très entiché de sa mirifique résidence d’été. Au point que les saisons estivales s’allongent de plus en plus chaque année, au grand dam des musiciens dont les épouses et les enfants sont restés à Eisenstadt. Une "pénitence" à laquelle échappent quelques membres de l’orchestre, notamment Joseph Haydn, Kappelmeister respecté du Prince, et son adjoint, le Konzertmeister Luigi Tomasini. Ceux-là possèdent le privilège de disposer d’un appartement privé dans le château d’Esterháza pour eux-mêmes et leur famille. Le compositeur n’en comprend pas moins le désarroi des musiciens privés des leurs et pressés de reprendre la route d’Eisenstadt. Malgré des demandes répétées, Nicolas Esterházy reste toutefois sourd à leurs légitimes revendications. Tant et si bien que le Prince, sa famille, ses collaborateurs, ses serviteurs et ses musiciens sont encore tous présents dans la résidence d’été d’Esterháza au mois de... novembre.
C’est alors que Haydn a une idée de génie : décrire dans une nouvelle symphonie le désarroi et la nervosité des musiciens, contraints par la volonté du Prince de rester éloignés si longtemps de leurs proches. Le style Sturm und Drang (tourmente et passion) s’impose alors dans les milieux musicaux, et Haydn lui-même est un adepte de cette approche dramatique de la composition, marquée notamment par le recours aux sombres accents du mode mineur. La 45e symphonie, écrite dans la tonalité rarissime de fa dièse mineur, n’échappe pas à l’air du temps. Fait inhabituel, elle est constituée de cinq mouvements, le finale comportant deux parties enchaînées, un presto suivi d’un adagio. Achevée en quelques jours, la symphonie 45 est donnée dans le salon de musique d’Esterháza devant un public limité au souverain, à sa famille et à quelques amis.
Tandis que les spectateurs s’installent, les musiciens prennent place sur la scène, chaque lutrin étant éclairé par une bougie pour permettre la lecture de la partition. Comme le veut la tradition, les musiciens accordent leurs instruments par groupes sur le "la" donné par le premier hautbois. Ce préalable accompli, le silence se fait : l’orchestre est prêt. Sur un signal du premier violon, tenu par Joseph Haydn lui-même, les premières mesures, sombres et tourmentées, emplissent alors le salon de musique. La suite est savoureuse et si bien racontée par l’excellent claveciniste et chef d’orchestre belge Jos van Immerseel que le mieux est de lui laisser la parole :
"Dans le premier mouvement, on entend la fureur et le désespoir, mais dans le développement apparaît soudain un thème doux (le compositeur voulut-il traduire la réunion familiale tant attendue de ses musiciens ?). Dans l’adagio, les violons jouent en sourdine une musique incohérente, ce que nous pourrions qualifier avec lyrisme de "sanglots". Tristesse et misère sont partout présentes. Vient ensuite un menuet revêche et peu gracieux. Le trio est clairement plus positif : l’espoir l’emporterait-il à présent ? Le finale commence par un thème du premier violon et soulève une question : "Et si nous partions soudain ?". L’adhésion de l’orchestre résonne à l’unisson. Chacun fait alors montre du style le plus brillant et de la plus grande virtuosité : "N’avons-nous pas donné le meilleur de nous-mêmes de façon convaincante durant tout l’été ?". Intervient ensuite, inattendu, un merveilleux adagio. Après la 24e mesure, le premier hautbois joue un beau solo, souffle sa bougie et s’en va calmement. Peu après, le deuxième cor suit son exemple et disparaît, imité par le basson, le deuxième hautbois et le premier cor. La contrebasse se manifeste alors comme jamais dans cette pièce et... quitte également la scène. Les troisième et quatrième violons font entendre, avec le violoncelle, le thème initial. Le violoncelle pourtant s’interrompt et part. L’alto prend la partie de basse à son compte, et un peu plus tard les troisième et quatrième violons s’arrêtent de jouer. Les premiers et deuxième violons continuent doucement, accompagnés par l’alto, jusqu’à ce que celui-ci s’en aille à son tour. Les deux violons s’arrêtent alors dans le plus grand silence."
On imagine aisément la stupéfaction des spectateurs dans le salon de musique au spectacle inattendu d’une scène plongée dans une quasi-obscurité après le départ progressif des musiciens et l’extinction de leurs bougies. Mais le symbole a porté, et le Prince Nicolas, beau joueur, rejoint les musiciens dans l’antichambre et s’adresse à son Kapellmeister : "J’ai compris, Haydn : demain, tous ces messieurs pourront rentrer à Eisenstadt." Moralité : non seulement la musique adoucit les mœurs, mais elle peut également être le support efficace d’une juste revendication !
Voici cette symphonie interprété brillamment par de jeunes musiciens, qui s'en vont tour à tour dans l'adagio final :
https://www.youtube.com/watch?v=guFtLJjRuz4
Détails des mouvements
1 Allegro assai
Le turbulent premier mouvement s'ouvre d'une manière typique de la période Sturm und Drang de Haydn, avec des arpèges mineurs descendants des premiers violons contre les notes syncopées des seconds violons, tenus aussi par les vents. Le mouvement peut être expliqué structurellement en termes de forme sonate, mais il s'écarte du modèle standard dans un certain nombre de façons (juste avant la réexposition, par exemple, un nouveau matériau est introduit, qui aurait pu être utilisé comme second sujet dans l'exposition dans un travail plus conventionnel). En outre, l'exposition se déplace en ut dièse mineur, le mineur dominant, plutôt que le relatif majeur plus habituel.
2 Adagio
Le second, lent, mouvement en la majeur et en temps 3/8 est aussi dans la forme sonate. Il commence par une mélodie détendue jouée par des violons en sourdine, comportant un motif répété dit "hoquet". L'ambiance devient progressivement plus sombre et méditative avec une alternance entre les grands et petits modes, ressemblant à de nombreux passages semblables dans le travail ultérieur de Schubert. Il s'ensuit une série de suspensions dissonantes portées sur la ligne de barre, qui sont étendues à des longueurs extraordinaires par Haydn lorsque le même matériau apparaît dans la récapitulation. James Webster entend cette musique comme programmatique, exprimant l'aspiration à la maison.
3 Menuet
Le menuet qui suit est en clé de fa dièse majeur ; Sa principale particularité est que la cadence finale de chaque section est rendue très faible (tombant sur le troisième battement), créant un sentiment d'incomplétude.
4 et 5 Presto puis Adagio
Le dernier mouvement commence comme un finale caractéristique de Haydn en tempo rapide et temps de coupure, écrit en forme de sonate dans la clé de fa dièse mineur. L'intensité rythmique est augmentée à un point grâce à l'utilisation d'un bariolage à l'unisson des premiers violons. La musique arrive finalement à la fin de la récapitulation, dans un passage qui ressemble beaucoup à la fin d'une symphonie, mais qui tout à coup se brise dans une cadence dominante.
Ce qui suit est une longue coda, comme section, en substance, d'un deuxième mouvement lent, ce qui est très inhabituel dans les symphonies classiques et qui probablement a surpris le prince. Ceci est écrit en temps 3/8, modulant de la majeur à fa dièse majeur, et comprend un jeu de scène qui peut ne pas être évident à un auditeur qui écoute une interprétation enregistrée : plusieurs des musiciens ont des petits solos à jouer, après quoi ils éteignent la bougie et prennent congé; d'autres musiciens partent sans solos. L'ordre de départ est: le premier hautbois et le deuxième cor (solos), le basson (non solo), le deuxième hautbois et le premier cor (solos), la contrebasse (solo), le violoncelle (non solo), des violons de l'orchestre, alto (pas de solo). Comme le nombre d'instruments restants diminue, le son émanant de l'orchestre devient graduellement plus mince. Les deux derniers violonistes restent pour terminer le travail. La fin est une sorte d'anticlimax ou chute délibérée et est généralement réalisée comme un pianissimo très doux.
Dernière édition par joachim le 2016-11-28, 12:03, édité 1 fois
laudec
Nombre de messages : 5667 Age : 71 Date d'inscription : 25/02/2013
Je ne connaissais pas bien Haydn, jusqu'à ce que, sur le site Ron, Piero attire mon attention sur lui à travers ses merveilleux trios. Depuis, je vais de bonne en excellente surprise, avec ce compositeur très attachant, et pas loin, vraiment pas loin de Mozart.
Merci, Joaquim, de continuer à t'occuper ainsi de mon éducation . Il n'est jamais trop tard... etc. Et, en bon élève que je suis, je ne connais qu'un mot : encore !
Icare Admin
Nombre de messages : 16701 Age : 59 Date d'inscription : 13/11/2009
On me dit souvent que si on aime Mozart, on ne peut qu'aimer Haydn. J'adore Mozart et j'ai pourtant du mal avec le "Haydn" instrumental, excepté les concertos pour violoncelle et la version orchestrale des "Dernières Paroles du Christ". En revanche, j'adore son oeuvre vocale. Pour Mozart, il est vrai que j'aime principalement ses dernières symphonies qui s'éloignent beaucoup de celles de Haydn.
Kristian
Nombre de messages : 1364 Age : 80 Date d'inscription : 18/11/2016
Toi qui aimes la musique de chambre, t'es-tu penché sur les trios de Haydn ? Suite à des posts de Piero sur le site Ron, j'en ai acheté quelques-uns... qui m'ont scotché, vraiment. Il semble que Mozart s'en soit inspiré, c'est pourquoi, je crois (sans garantie) qu'il a écrit des pièces de musique de chambre (quintettes ???) dédiés à Haydn.
C'est étrange, Icare, mais j'ai eu la même réaction que toi. J'ai toujour un peu – disons-le – méprisé Haydn, que je trouvais nettement « inférieur » à Mozart. C'était un jugement d'adolescent (oh, bêtise ! ), qui m'a suivi très, très longtemps. Il faut dire, pour ma défense, que Haydn a tellement composé, qu'il y a quand même une grande quantité d'œuvres de circonstance secondaires. C'est d'ailleurs là la grande différence avec Mozart, chez qui tout est intéressant.
Je ne reviens pas sur la différence, qui existe bel et bien. Mais Haydn, quand on se donne la peine d'écouter ses grandes œuvres, n'est pas si loin de Mozart qu'on a parfois, comme moi autrefois, tendance à le croire. Mais il souffre de sa proximité avec Mozart, et aussi d'appartenir à la même époque. N'importe qui souffrirait de la comparaison, à part, à mon avis, Bach et Beethoven– et peut-être Vivaldi et Haydn, les autres étant assez loin derrière (jugement personnel ).
Et enfin, Haydn mérite notre estime parce que c'était un homme de bien, qui a beaucoup soutenu Mozart dans les moments difficiles, alors qu'il aurait pu, comme beaucoup d'autres, en être jaloux. Au contraire, il voyait en lui un Maître : « Cest vous le plus grand », lui aurait-il dit dans je ne sais plus quelle circonstance.
Chapeau, monsieur Haydn, j'aimerais bien n'avoir ne serait-ce que le dixième de votre talent !