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Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2010-01-31, 17:05
Le chant grégorien est le chant liturgique officiel de l'Église catholique romaine. Issu du chant de l'Eglise de Rome et du chant messin (Scola Metensis) répandus en Occident à la fin du VIIIe siècle, il reste pratiqué régulièrement dans certaines églises et communautés religieuses, spécialement dans les cérémonies plus solennelles de la liturgie du rite romain. Indépendamment de la liturgie, le chant grégorien est aujourd'hui apprécié pour sa qualité esthétique. C'est un genre musical qui appelle au calme, au recueillement, à la contemplation intérieure.
Caractéristiques
Le chant grégorien est un chant sacré anonyme, habituellement interprété par un chœur ou par un soliste appelé chantre. Il est destiné à soutenir le texte liturgique en latin. On trouve des chœurs d'hommes ou de femmes, les abbayes de moniales au Moyen Âge chantaient le répertoire liturgique au même titre que les abbayes d'hommes. Il doit se chanter a cappella, c'est-à-dire, sans accompagnement harmonisé instrumental, car toute harmonisation, même discrète, modifie la structure de cette musique. Il s'agit d'un chant homophone — ou chant monodique — c'est-à-dire, une musique excluant les simultanéités sonores : toutes les voix qui l'exécutent chantent donc « à l'unisson ». Du point de vue du système mélodique, le chant grégorien est de type modal et diatonique. Les chromatismes en sont généralement exclus, ainsi que les modulations et l'emploi de la sensible. Les différentes échelles utilisées, avec leurs degrés et leurs modes, sont appelées modes ecclésiastiques, ou échelles modales, ou modes anciens — par opposition aux échelles utilisées postérieurement en musique classique tonale. C'est une musique récitative, qui prend son origine dans le texte, et qui favorise l'intériorisation et la conscience des paroles chantées. Il n'est pas cadencé, mais il est absolument rythmé. Son rythme est très varié, par opposition à la cadence régulière de la musique issue de la Renaissance. Le rythme, qui est une question complexe en chant grégorien, découle des paroles et de la musique, en superposant les deux logiques. Dans les passages psalmodiques ou syllabiques, le rythme vient principalement des paroles ; dans les passages neumatiques ou mélismatiques, c'est la mélodie qui devient prépondérante. Ces deux composantes sont toujours présentes.
Notation Le chant grégorien dispose d'une notation spécifique, les neumes. Mais la notation n'est pas ce qui en fait la spécificité : des neumes peuvent servir à noter des musiques très variées. Des morceaux de composition tardive peuvent ainsi profiter d'un déguisement neumatique pour se glisser dans le répertoire.
Esthétique
Pour l'esthétique grégorienne, la date de composition importe peu ; dans la mesure où elle en reflète effectivement l'esprit, c'est-à-dire : - La modalité est le premier élément spécifiquement grégorien. La modalité est en quelque sorte le paysage sous-jacent, dans lequel vient évoluer chaque pièce. Elle se manifeste de manière évidente par les teneurs dans la psalmodie, mais cette notion de teneur (simple ou multiple) structure tout le répertoire du plain-chant. - Le rythme verbal est également une caractéristique essentielle du grégorien. Le rythme est évidemment verbal dans le style psalmodique et syllabique, mais cette logique verbale se prolonge également dans le style neumatique, et jusque dans les développements mélismatiques où se retrouve encore la dynamique verbale de l'accentuation latine.
Origines
Le chant grégorien doit son nom au pape Grégoire le Grand (fin du VIe siècle) auquel il a été attribué par l'historiographie carolingienne. Le répertoire grégorien apparaît dans la seconde moitié du VIIIe siècle, dans la région de la Moselle, berceau de la puissance franque et notamment après la réforme de l'évêque Chrodegang de Metz, dans la juridiction de l'abbaye de Gorze. On l'appelle alors chant messin. C'est d'abord en Angleterre, par l'envoi de missionnaires partis de Rome, puis et surtout à la demande de Pépin le Bref, de Charlemagne et de leurs successeurs, que le chant romain s'épanouit hors d'Italie. Il s'est alors répandu pour répondre à la volonté d'unité et d'ordre du pouvoir politique et pour remplacer le chant gallican. La diffusion du chant grégorien, comme l'initiation de l' ordo romanus dans son ensemble, servit donc avant tout à la mise en place du nouvel ordre politico-religieux chrétien et à l'imitatio imperii voulue par le nouvel empereur d'Occident. L'Église en fut l'instrument autant que la bénéficiaire. Le répertoire et les formes musicales que l'on appelle aujourd'hui grégoriens sont le résultat du mariage du chant romain, diffusé par le bouche à oreille, avec le chant et les répertoires locaux. Le chant grégorien médiéval est né de leur cohabitation prolongée pendant des siècles. Avant de pouvoir être mis par écrit et noté, le chant romain était en effet transmis par l'intermédiaire de chantres envoyés par le pape qui, à force de mémorisation et de répétitions, venaient former l'oreille et les choeurs des régions les plus reculées. Ces échanges d'influences expliquent l'apparition de familles musicales différentes et la survivance de particularités locales à l'intérieur même de la tradition grégorienne. Les recherches de Dom Jean Claire, moine de l'Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, démontrent qu'une des formes primitives du chant dit grégorien est née au milieu du VIIIe siècle, à Metz, ancienne capitale de l'Austrasie, favorisée, au niveau ecclésiastique, par saint Chrodegang de Metz, proche de Pépin le Bref. On parlait alors d'ailleurs de chant messin. Plus tard, les grandes familles religieuses du Moyen Âge ont également donné naissance à leur propre tradition musicale grégorienne, souvent la diffusion des particularités musicales des livres de la maison mère (chant grégorien cistercien, cartusien, dominicain, etc.) Ce mouvement d'uniformisation du chant sacré initié à grande échelle par les Carolingiens a été soutenu par la papauté et a accompagné l'implantation du christianisme en Europe. La diffusion du chant grégorien s'est largement appuyée sur les institutions monastiques, qui, malgré la constitution et le maintien de traditions mélodiques et d'un répertoire propres, différent du cursus romain spécialement pour l'antiphonaire de l'office, ont contribué à la diffusion du répertoire romain, par la copie et la compilation des textes religieux. Le chant grégorien est habituellement considéré comme le point de départ de la musique occidentale savante, appelée musique classique. Cependant, celui-ci n'est pas né ex nihilo : en effet, les modes, les échelles, les mélodies même, faisaient sans doute partie des traditions orales appartenant aux nombreux groupes sociaux établis sur l'ancien empire romain — traditions gréco-romaines, celtiques et plus précisément gallicane, judéo-chrétiennes, germaniques, etc. L'autorité religieuse a, en fait, défini une norme de musique acceptable dans le cadre de l'office divin, préservant la sainteté et la dignité de celui-ci, en favorisant la contemplation et en bannissant strictement tout débordement sensuel ou tout aspect profane incongru.
Restauration du chant grégorien
Il fallut de longs travaux pour restaurer chant grégorien. Ce sont surtout les travaux des bénédictins de Solesmes qui rendirent possible cette restitution : Dom Joseph Pothier d'abord, qui après avoir retrouvé la lecture des neumes cursives, publia la première édition un peu sérieuse, le Liber gradualis de 1883, et fixa les principales règles d'exécution en 1880 dans ses Mélodies grégoriennes, rapidement devenues célèbres. Dom André Mocquereau, disciple de Dom Pothier, fit la première restauration de la mélodie et du rythme, et l'énoncé des lois de l'interprétation traditionnelle (fortement imprégnées des conceptions musicales de l'époque). En 1889, Dom Mocquereau fonda la Paléographie musicale, vaste recueil trimestriel, destiné à reproduire par la phototypie les principaux manuscrits de chant conservés dans les bibliothèques de l'Europe, et contenant des études et des analyses qui permirent d'étudier non seulement la ligne mélodique dans sa pureté originelle, mais les lois de composition et les moindres nuances d'interprétation. Toutefois aujourd'hui, il est possible de corriger et de dépasser les conceptions qui prédominaient au début du XXème siècle, pour aller plus près des sources, par la «sémiologie grégorienne ». Développée par son successeur Dom Eugène Cardine, c'est une méthode qui analyse l'utilisation des différents signes (ou neumes) primitifs, permettant ainsi de préciser l'interprétation des mélodies grégoriennes, particulièrement l'articulation du phrasé, du rythme et la durée des sons, grâce aux indications relativement précises des plus anciens manuscrits (notamment ceux qui utilisent la notation sangallienne - c'est-à-dire originaire de l'abbaye suisse de St Gall - et la notation messine). Un premier aboutissement de ces travaux fut la publication à Rome, par une commission nommée par Pie X et présidée par Dom Pothier, d'une édition officielle pour toute l'Église, nommée édition vaticane. Le Graduel (contenant tous les chants de la Messe) parut en 1908; l'Antiphonaire (contenant tous les chants de l'Office, hors nocturnes) en 1912; et d'autres extraits ont été publiés depuis: l'office des morts, le chant de la Passion, les Répons de la semaine sainte et de Noël. C'est à l'abbaye de Solesmes qu'a été confié le soin de continuer et d'achever l'édition vaticane. Les « éditions de Solesmes », ainsi qu'on les appelle, reproduisent l'édition vaticane, mais en la complétant par un système de signes dits rythmiques. Ces signes sont d'un intérêt mitigé.[non neutre] Ils sont en partie empruntés à la notation sangallienne, précisant l'interprétation traditionnelle du Moyen Âge, et en partie le reflet des théories de Dom Mocquereau. Afin de faciliter la prise en compte des notations primitives dans le chant, Solesmes publiait en 1979 le Graduel Triplex, qui superpose la version en notes carrées de l'édition précédente et une copie minutieuse des notations sangallienne et messine. Les pièces grégoriennes y sont classées selon la forme ordinaire du rite romain (aussi appelée « messe de Paul VI »).
source : wikipedia
Bel Canto Admin
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Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2010-01-31, 17:23
Abbaye de Solesmes
L'abbaye fête cette année son millénaire.
Par suite de la baisse progressive du rôle de la mémoire, le chant grégorien tomba en complète décadence à la fin du moyen âge : les manuscrits n'offrent plus alors qu'une « lourde et assommante succession de notes carrées ». La Renaissance lui porte le coup de grâce : les mélodies sont corrigées par les musicologues officiels et les longues vocalises réduites à quelques notes.
En 1833, un jeune prêtre du diocèse du Mans, dom Prosper Guéranger, entreprend de restaurer la vie monastique bénédictine au prieuré de Solesmes, après les quarante années d'interruption due à la Révolution française : il aborde la restauration du chant grégorien avec enthousiasme. Il commence par s'attaquer à l'exécution et demande à ses moines de respecter dans leur chant le primat du texte : prononciation, accentuation et phrasé, autant de garanties de l'intelligibilité, au service de la prière. Dom Guéranger confie aussi à l'un de ses moines, la charge de restaurer les mélodies authentiques.
L'écriture « en fines pattes de mouche » des plus anciens manuscrits est alors indéchiffrable. Mais l'invention de la photographie vient bientôt rendre des services inappréciables. Peu à peu s'élabore une collection incomparable de fac-similés des principaux manuscrits de chant contenus dans les bibliothèques d'Europe : la Paléographie Musicale de Solesmes.
Pianoline Mascotte du forum
Nombre de messages : 2340 Age : 31 Date d'inscription : 08/06/2011
Sujet: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-12, 14:39
Généralités : Le Moyen Âge fut inventé par des auteurs italiens n'ayant pas fixé les limites de cette période. On va dire que le Moyen Âge commence avec l'édit de Milan en 313, qui signifie la reconnaissance de la religion chrétienne, qui dès lors va supplanter toutes les religions. La musique au début du Moyen Âge sera très souvent religieuse. Le Moyen Âge s'articule autour de deux pôles : _système monastique : monde religieux, spirituel, l'objectif des moines étant de transmettre un savoir aux générations suivantes. L'art de la glose (= commentaire, analyse, explication). _ système féodal : château, seigneur...
Charlemagne, couronné empereur en 800, va chercher à donner une unité à son immense empire en donnant déjà des mêmes chants à la messe, pour que n'importe quel pèlerin ou voyageur puisse suivre la messe. Puis, il va se préoccuper de l'éducation de sa jeunesse : ouvrir des écoles épiscopales, enseignées par des prêtres ou pour les jeunes nobles. On distingue deux classes : le TRIVIUM, et le QUADRIVIUM. Dans le trivium : grammaire, rhétorique, logique. Dans le quadrivium, arithmétique, musique, astronomie et géométrie.
I La musique dans le Quadrivium
"La musique est l'art du nombre rendu audible" de Pythagore "La musique est une discipline qui traîte des nombres existant dans les sons" de Alcuin, disciple de Charlemagne. On comprend la musique comme une mise en pratique de l'arithmétique, l'étude des sons est l'étude des nombres. Les intervalles par exemple en musique.
petite note personnelle : ce serait un bon sujet de débat et de pensée philosophique ca ! La conception de la musique selon les époques. J'ai pensé dans ma ptite tête à différencier la conception de la musique à cette époque, puis à celle du romantisme ou la c'est presque le contraire, puis à la musique moderne contemporaine qui a encore une autre approche.
II Notation neumatique
Au début, les chants écrits sur partition était "a campo aperto", c'est à dire à chant ouvert, sans portée. Il y avait juste quelques notes qui déterminaient à peu près la hauteur des notes, et ca servait juste en simple aide-mémoire. On utilisait, avant le traité de l'harmonie par Rameau, les 8 modes ecclésiastiques, repris des modes grecs antiques. Ré mineur était considéré comme le premier mode ecclésiastique, qu'on a appelé Protus. Puis, pour classer les modes, on a divisé lesmodes en deux groupes : _ mode authentes, où la corde de récitation est une quinte plus haut au dessus de la finale. _ mode plagal, où la corde de récitation est une tierce au dessus de la finale.
corde de récitation = la note qu'on a le plus souvent dans le morceau, c'est celle sur laquelle on va réciter un psaume ou une lecture chantée. Si vous récitez une phrase toujours sur le même ton sans changer, vous serez sur la corde de récitation. finale = le ton, la tonalité du morceau, la première note souvent...
Donc voici ce que ca fait : 1) ré (finale) --> la (authente) 2) ré (fianle) --> fa (plagal) 3) mi (finale) --> si (authente) 4) mi (finale) --> sol (plagal) 5) fa (finale) --> do (plagal) 6) fa (finale) --> la (plagal) 7) sol (finale) --> ré (authente) 8) sol (finale) --> si (plagal)
Et voici le nom des neumes :
Les plus importants sont punctum (simple note) , virga (virgule), clivis (on chante les deux notes en regardant leur hauteur), pes (ou podatus)(on commence par dire celle du bas puis ensuite celle du haut), torculus (on lit la note du bas, puis du haut, et on redescend à la note du bas), porrectus, climacus, scandicus. Les autres vous pouvez les oublier Faîtes attention, quand vous avez un "accord" de notes, justement ce n'est pas un accord, mais deux notes successives, par exemple pour le pes, on dit déjà celle du bas, puis celle du haut toute suite après.
https://youtu.be/lkpFB6urAEE voila, entraînez-vous à lire ! ca devient une habitude après !
Dernière édition par Pianoline le 2011-10-16, 12:08, édité 1 fois
Icare Admin
Nombre de messages : 17974 Age : 60 Date d'inscription : 13/11/2009
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-14, 17:36
Merci professeur pour cette première leçon et j'attends la suite avec impatience.
Pianoline Mascotte du forum
Nombre de messages : 2340 Age : 31 Date d'inscription : 08/06/2011
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-14, 23:38
Merciiiiiiii, je ne sais pas si je la ferai ce week end par contre la flemme quoi, si je dois travailler même pour mon seul jour de repos qui est le samedi (et encore... j'ai cour de piano...)
mais bon, on verra bien suivant ma motivation, et suivant si t'es sage,
felyrops
Nombre de messages : 1419 Age : 78 Date d'inscription : 26/09/2007
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-15, 07:38
Merci, pianoline, j'ai un Manuel de Chant Grégorien (tiens, explique nous ce terme 'Grégorien') mais je préfère ton approche. Pour ce qui est du véritable début du Moyen-Âge, je verrais les invasions "dites-barbares" sur les restes du feu-empire-romain comme un intermezzo avant l'éclosion d'un Moyen-Âge riche en productions artistiques, dont on peut facilement fixer le début au couronnement de Charlemagne. Charles Martel (? - 741) fut important pour libérer l'Europe de tribus invastatrices, mais l'unification revient, sans aucun doûte, à Charlemagne (742-814).
Snoopy Admin
Nombre de messages : 32009 Age : 49 Date d'inscription : 10/08/2006
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-15, 08:49
Merci Pianoline, c'est très intéressant.
ps: Par contre ne divise pas ton sujet stp, et poste en continu sur ce topic pour la suite. Merci
Pianoline Mascotte du forum
Nombre de messages : 2340 Age : 31 Date d'inscription : 08/06/2011
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-16, 13:04
PARTIE 2 : Histoire de la musique du Moyen Âge et du chant grégorien
III Les origines et le développement de la liturgie chrétienne
A) Origines préchrétiennes
La religion chrétienne se fonde sur les bases de la religion juive. Les premiers chrétiens ont toujours été en grand contact avec les juifs et les deux religions avaient des points communs comme par exemple l'eucharistie et la récitation des psaumes. En musique, dans les deux religions, chaque office est organisé autour de lectures et de prières chantées. Les juifs avaient pris l'habitude de chanter 3 fois "Kadoch" (en hébreu : saint), et les chrétiens répètent 3 fois le mot "Sanctus". On appelle cela la trisagion. 2 types de chant communs aux juifs et aux chrétiens : _ chant responsorial : une assemblée répond à un soliste _chant antiphonique : alternance entre deux choeurs
B) Chronologie Du Ier siècle au Ive siècle Les premiers chrétiens ont dû se fondre avec les juifs et aller à la synagogue pour ne pas se faire repérer et tuer. Ils pouvaient pratiquer leur religion à la synagogue en cachette. Le samedi soir, ils se rassemblaient jusqu'au lever du soleil pour préparer la messe du dimanche. Le dimanche est ainsi devenu le jour du seigneur, où on va à la messe. de la fin du IV siècle au début du VIIe siècle Rome devint le centre de l'église chrétienne. Le pape Damase sera le premier à organiser la liturgie. Après, le pape Léon Ier tente de remplacer les chants venus d'Orient (car à l'origine, Constantinople était le centre de la religion chrétienne, donc tout venait d'Orient) par des compositions d'Occident. C'est enfin le pape Grégoire-le-Grand qui fit définitivement organiser les chants du rite romain. Il a donc réparti les chants grégoriens dans l'office.
IV Le chant grégorien
A) les 3 styles de notation
(rappel : pour lire une partitions de chant grégorien avec des neumes, n'oubliez pas : notes déterminent la hauteur des sons, quand vous voyez deux notes l'une au dessus de l'autre, elles se lisent de bas en haut, et les petits points (losanges) à côté d'une note prolongent celles-ci.) _ style syllabique : 1 seule note (ou 2 maxi) par syllabe. Style employé pour la récitation des psaumes, les lectures, les répons brefs, les hymnes, les glorias et les credos. On utilise le style syllabique quand le texte est long (on ne va pas l'allonger encore par des mélismes...), et le texte est alors mis en valeur, les gens peuvent mieux entendre et comprendre le texte. https://youtu.be/SugtS3tqsoo Sur le lien ci dessus, vous pouvez remarquer le nom des notes ! C'est ce chant grégorien qui est à l'origine du nom des notes. Il s'agit d'un hymne, nommé "Ut queant laxis". _ style neumatique : des mélismes (vocalises) qui se placent sur l'accent du mot. On peut observer une hiérarchie dans les notes selon l'importance du mot. Les mots sont ainsi mis en valeur, soulignés par un geste musical. Ce style est utilisé pour les Sanctus, les Agnus Dei, les communions et les Introïts. https://youtu.be/J6PQP3aO7qw _ style fleuri, ou mélismatique : énormément de notes chantées sur une seule syllabe (vocalises). Mise en valeur du chant plus que le texte. On trouve dans ce style les offertoires, les grands répons, les Alléluia, et les Kyrie. https://youtu.be/9FUCZl9dytM conseil : ne lisez pas trop vite, et c'est un peu plsu compliqué de suivre... Remarque : c'est un chant responsorial, car le chant est chanté par l'assemblée (choeur), puis le verset par un soliste, puis reprise par l'assemblée.
B) Les mélodies grégoriennes
Une phrase de mélodie grégorienne est généralement construite par : _ une formule qui commence le chant : l'intonation _ le corps de la phrase : qui touche beaucoup la corde de récitation (voir la partie 1 du cours, avec les modes) _ des cadences (les cadences médianes sont les cadences qui peuvent moduler dans un autre mode) _ la fin d'un chant grégorien se finit toujours par la finale du mode et une cadence conclusive.
3 types de mélodies grégoriennes : _ mélodies originales : librement composées, uniques _ mélodies types : fragments mélodiques que l'on retrouve dans des morceaux différents _ mélodies santons : des formules mélodiques différents mais très ressemblantes (on pourrait dire : A-B-A'-B'-A''-B'' pour la ressemblance des formules dans chaque morceau)
C) la liturgie et l'office
La liturgie contient : Le propre du temps (des chants qui sont variables dans l'année selon les fêtes, les évenements... par exemple Pâques, Noël...) , et Le Commun des saints (les chants qu'on chante tous les dimanches à la messe, dédiés aux saints.)
En 313, on appelle les nuits du samedi soir au dimanche où les chrétiens allaient à la synagogue pour préparer la messe du dimanche : Les Vigiles (plus tard appelées Vêpres). Après 313, on va diviser l'office en 3 : les Vigiles (samedi soir), les Nocturnes ou Matines (la nuit), et les Laudes (à l'aube). Comme les moines vivent maintenant en communauté, il va falloir fixer des règles et des horaires précises. Saint Benoît va établir ces règles, qui seront respectées pendant longtemps, et sont toujours respectées aujourd'hui par les bénédictins (bénédictins --> benoît, ^^) :
Offices de nuit : _ Matines (après minuit) _ Laudes (= louanges) (lever du jour) _ Prime (6h du mat') _ Tierce (9h) _ Sexte (12h) _ None (15h) _ Vêpres (anciennes Vigiles, le soir) _ Complies (prières avant de dormir)
Bref, vous aurez compris, c'est toutes les 3h. Merci de votre lecture, la suite dans le prochain épisode ! _
Kool
Nombre de messages : 1645 Age : 69 Date d'inscription : 17/05/2011
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-16, 19:04
C'est fort intéressant,et c'est une période que j'adore lire
Pianoline Mascotte du forum
Nombre de messages : 2340 Age : 31 Date d'inscription : 08/06/2011
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2011-10-16, 21:01
Merci, par contre, si je m'exprime pas bien pour certains moments, dîtes le moi, que je reformule mieux en éditant mon message... Parce qu'au départ mon cours est fait de notes, et je fais mes propres leçons avec des plans scolaires (j'ai été habituée au collège et lycée comme ca, et je trouve que c'est plus clair, :) ) Mais il se peut que parfois je n'explique pas bien. Mais comme vous êtes des gentils élèves sérieux, vous me direz que c'est parfait, n'est-ce pas ? *prépare sa poele en cas de rebellion, ^^*
joachim Admin
Nombre de messages : 27902 Age : 78 Date d'inscription : 19/08/2006
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2012-04-11, 12:15
Je n'avais pas vu cet intéressant article de Bel Canto
Le chant grégorien est donc apparu vers le règne de Charlemagne, autour de 800.
Je me demande donc ce qui était chanté dans les églises avant le grégorien. Des chants issus des textes hébraïques "adaptés" au christianisme ?
joachim Admin
Nombre de messages : 27902 Age : 78 Date d'inscription : 19/08/2006
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2012-08-10, 20:32
Je suis revenu voir ce topic, pianoline, mais tu n'avais pas fini il me semble : les années 800, 900, 1000 avec Leonin et Perotin, puis Adam de la Halle vers 1200, et ensuite jusqu'à la Renaissance ? Il y a un creux, et un fameux
Icare Admin
Nombre de messages : 17974 Age : 60 Date d'inscription : 13/11/2009
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2012-08-10, 20:35
Tu vas nous l'épuiser la petite...
Pianoline Mascotte du forum
Nombre de messages : 2340 Age : 31 Date d'inscription : 08/06/2011
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2012-08-10, 22:19
Oui je sais bien Je n'ai pas fini. Je pensais faire en même temps au début, en même temps que mes cours, mais je n'ai pas pu. Et comme c'est une époque peu connue et même très peu "aimée" musicalement, j'ai laissé tomber pour un meilleur cours sur la Renaissance. Mais je peux continuer si tu veux, il n'y a pas de soucis !
Icare, ne m'appelle plus "la petite" je suis vexée, sinon, je te ressors la tête du gars super moche, ^^
Icare Admin
Nombre de messages : 17974 Age : 60 Date d'inscription : 13/11/2009
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2012-08-10, 22:50
Oh non pas lui!
joachim Admin
Nombre de messages : 27902 Age : 78 Date d'inscription : 19/08/2006
Sujet: Veni Creator Spiritus grégorien 2013-06-13, 10:21
Je suis tombé par hasard sur le lien youtube ci dessous. C'est je crois, avec le Requiem, l'un des plus beaux chants grégoriens.
Veni Creator Spiritus est une hymne grégorienne, considérée comme la plus célèbre de toutes les hymnes de ce répertoire. Le Veni Creator fut composé par Raban Maur au ixe siècle et il est utilisé chez les catholiques mais aussi dans la plupart des Églises chrétiennes. On connait en particulier une traduction de Luther.
Le Veni Creator Spiritus est chanté lors de l'entrée en conclave à la chapelle Sixtine, ainsi qu'au moment de la consécration d'un évêque, l'ordination de prêtres, la dédicace d'églises, la célébration de synodes et de conciles, le couronnement de rois, l'échange des consentements d'une messe de mariage, et lors d'autres événements solennels. L'hymne fut d'abord consignée aux vêpres. Un manuscrit du onzième siècle la situe à la fois aux laudes et aux vêpres. Ainsi, cette hymne fut chantée par la Chapelle royale le samedi 16 octobre 1610 selon la tradition, à la fin de l'office solennel des vêpres et la veille du sacre du roi Louis XIII, dans l'abbaye Saint-Nicaise, près de Reims1,2. Le 17 juillet 1794, les religieuses carmélites de Compiègne montèrent à l’échafaud en chantant le Veni Creator.3
Le titre de l'hymne signifie Viens Saint Esprit Créateur et commémore la Pentecôte. Son usage dans l'office de tierce aurait commencé dans la liturgie de Cluny, puisqu'il commémore la descente de l'Esprit à la troisième heure du jour. Ci-dessous se trouvent le texte original latin et la traduction liturgique officielle en français.
L'hymne Veni Creator a servi de support, notamment au xviie siècle à des œuvres pour orgue de compositeurs tels que Jehan Titelouze ou Nicolas de Grigny.
Cette hymne de Pentecôte constitue le premier mouvement de la Huitième Symphonie "des Mille" de Gustav Mahler. Le compositeur l'a écrite dans un style rigoureusement contrapuntique en hommage aux Maîtres de la Renaissance. Le recueillement se mêle à la puissance dans la musique, mettant merveilleusement en valeur les différents aspects du texte (l'humble prière des premières strophes, l'appel à la lutte spirituelle au cinquième quatrain...). En France, Michel-Richard de Lalande, musicien de Louis XIV, est connu en tant que compositeur de ce psaume (grand motet en latin, S.14), de même que Marc-Antoine Charpentier avec cinq compositions, H.69, H.54, H.66, H.362, H.70 et Henry Desmarest. Jean-Baptiste Robin compose en 2012 cinq versets sur le Veni Creator, pour grand orgue. Commande de la Société de la cathédrale de Reims et des Amis de la basilique Saint-Remi.
1. Veni, Creator Spiritus, mentes tuorum visita, imple superna gratia, quae tu creasti pectora.
2. Qui diceris Paraclitus, donum Dei altissimi, fons vivus, ignis, caritas et spiritalis unctio.
3. Tu septiformis munere, dextrae Dei tu digitus, Tu rite promissum Patris sermone ditans guttura.
5. Hostem repellas longius pacemque dones protinus: ductore sic te praevio vitemus omne noxium.
6. Per te sciamus, da, Patrem, noscamus atque Filium, te utriusque Spiritum credamus omni tempore.
7. Deo Patri sit gloria et Filio, qui a mortuis surrexit, ac Paraclito in saeculorum saecula.
https://www.youtube.com/watch?v=cDhYGdK0KQg
Dernière édition par joachim le 2020-07-12, 11:36, édité 2 fois
laudec
Nombre de messages : 5669 Age : 72 Date d'inscription : 25/02/2013
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 13:54
J'aime beaucoup le chant grégorien aussi. Tiens, je ne savais pas que "hymne" se déclinait également au féminin !
Jean
Nombre de messages : 8942 Age : 81 Date d'inscription : 14/05/2007
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 15:22
Que de souvenirs!!!...et que de fois je l'ai chanté:...non pas lors d'un éventuel passage chez les moines...mais lors de ma scolarité au "petit-séminaire" où toutes les messes dominicales et fêtes étaient chantées en grégorien!!
joachim Admin
Nombre de messages : 27902 Age : 78 Date d'inscription : 19/08/2006
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 16:47
Jean a écrit:
toutes les messes dominicales et fêtes étaient chantées en grégorien!!
C'était le cas jusqu'au concile Vatican II, en 1963 (si j'ai bonne mémoire). Dans mon enfance et jusqu'à ma communion en 1958, les messes étaient dites en latin, les curés en soutane, et pour moi aussi c'est une époque que je regrette (ou alors, nostalgie ? ). L'Eglise avait quand même une autre prestance, même s'il est vrai qu'elle était moins conviviale. Mais au moins elle était respectée.
Jean
Nombre de messages : 8942 Age : 81 Date d'inscription : 14/05/2007
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 17:33
Respectée?...çà dépend par qui;)...et puis le "respect" est aussi la porte ouverte au... "panurgisme"...
laudec
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Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 17:46
joachim a écrit:
L'Eglise avait quand même une autre prestance, même s'il est vrai qu'elle était moins conviviale. Mais au moins elle était respectée.
Pour moi, avant Vatican II certaines messes étaient peut-être plus "belles" qu'aujourd'hui, mais elles étaient surtout recouvertes d'une épaisse couche de vernis qui empêchait les fidèles de se poser des questions et qui cachait pas mal d'abus, que l'on commence à dévoiler actuellement d'ailleurs..., ceci est mon avis tout à fait personnel et certainement hors sujet, mea culpa !
laudec
Nombre de messages : 5669 Age : 72 Date d'inscription : 25/02/2013
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2013-06-13, 17:49
Jean a écrit:
Respectée?...çà dépend par qui;)...et puis le "respect" est aussi la porte ouverte au... "panurgisme"...
tout à fait d'accord avec toi Jean.
laudec
Nombre de messages : 5669 Age : 72 Date d'inscription : 25/02/2013
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2014-10-17, 16:46
Merci pour cette présentation Pianoline ! Le chant grégorien et cette époque me passionne depuis longtemps. Je viens de découvrir quelqu'un qui est passionné de cette époque et qui en parle très bien. J'aime partager avec vous cette découverte de Jaques Viret *, musicologue contemporain qui répond à quelques questions concernant le chant grégorien
*Jacques Viret Le pianiste et organiste, Jacques Viret est aussi et surtout un éminent musicologue, professeur (émérite depuis 2009) à l’université de Strasbourg. Spécialiste du chant grégorien, thème de sa thèse de doctorat ès lettres, l’homme n’en demeure pas moins un amoureux de la musique « classique » au sens large du terme. Pour preuve, les nombreux ouvrages publiés par Jacques Viret qui, outre le chant grégorien, traitent avec passion d’opéra, de musique baroque ou médiévale et du controversé compositeur qu’était Richard Wagner. Résultat, une interview fleuve qui demanderait une suite tant le discours de ce musicologue est riche et plein d’enseignements. (présentation de Nicolas Valiadis)
Nicolas Valiadis a écrit:
Comment est né le chant grégorien ?
Je vais vous surprendre : le grégorien n’est jamais né, donc il ne mourra jamais ! Je m’explique. Bien sûr, historiquement il y a une naissance du grégorien. Elle a eu lieu au ive siècle, quand le christianisme est devenu la religion officielle de l’Empire romain – alors sur son déclin – et que la liturgie de Rome a été célébrée en latin et non plus en grec comme auparavant. Elle a connu à ce moment un puissant essor, en particulier sous l’angle musical. On a instauré la fonction de chantre (cantor), alors qu’auparavant il n’y avait qu’un lecteur (lector). Cependant il faut voir aussi au-delà de l’histoire. On y est obligé quand on s’occupe de tradition et donc d’oralité : toute authentique tradition passe par la bouche et l’oreille, sans document écrit, unique grain à moudre pour les historiens ! Au ive siècle, des écrits existent, mais non des notations musicales : les plus anciennes n’apparaîtront qu’au ixe siècle. Donc à ce stade on ne « compose » pas des chants au sens où nous l’entendons. Dans le monde des traditions, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. C’est pourquoi aucun nom de compositeur n’est connu ; c’est pourquoi aussi le style du répertoire ancien nous apparaît si homogène. L’individualité de l’artiste traditionnel se fond dans la tradition qu’il recueille et transmet.
à suivre...
laudec
Nombre de messages : 5669 Age : 72 Date d'inscription : 25/02/2013
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2014-10-18, 13:05
Voici la suite de l'interview de Jacques Viret par Nicolas Valiadis que j'ai trouvé très intéressante. Et vous, qu'en pensez vous ?
Mais d’où vient le grégorien ?
Redoutable question ! Il y a un héritage judaïque. Quelques musicologues, notamment Abraham Idelsohn au début du xxe siècle, ont décelé des similitudes précises entre le grégorien et le plus ancien chant juif, par exemple dans la manière de « cantiller » (réciter en chantant) les psaumes. À part ça il y a sans doute une superficielle influence grecque, hellénistique. Sans doute également un apport celtique, européen, à travers le folklore, notamment pour le chant vocalisé (jubili pastorales, « vocalisations des bergers »). Il faut remonter plus loin encore, jusqu’aux universels archétypes mélodiques, source de toutes les traditions musicales du monde ; musique « primitive », sans âge ni origine, comme les chantonnements que les enfants improvisent selon leur instinct depuis l’âge d’un an. Voilà pourquoi le grégorien se situe, en un sens, hors du temps. Ses formes renvoient à une époque et à une localisation précises (le latin), mais sa substance musicale est intemporelle.
Le fait que ce chant soit homophone (une simple mélodie) est-il sa principale caractéristique ?
Oui, au point de vue musical il s’agit de sa caractéristique essentielle. C’est une pure mélodie qui se suffit à elle-même, sans accompagnement, sans polyphonie. Elle porte en elle l’harmonie du « mode » qui est sa matrice : chacun des huit modes modélise un type particulier de composition mélodique. Le théoricien Gui d’Arezzo, au xie siècle, a comparé ces modes aux types humains : chaque mélodie révèle son mode, de même que chaque être humain révèle par son apparence l’ethnie qui est la sienne. Cependant la théorie des modes est postérieure (ixe siècle) à la composition du vieux fonds. En vertu de sa nature monodique et modale, le grégorien s’apparente de près aux traditions d’Orient encore vivantes aujourd’hui : râga hindoustani, maqam turco-arabe, dastgah iranien. Il faut l’entendre avec la même oreille que ces musiques-là, ce qui ne va pas de soi si l’on est habitué à Mozart et Brahms.
« Le chant donne au culte divin une grandeur qui attire merveilleusement les âmes vers les choses célestes », expliquait le pape Pie X dans son motu proprio de 1903. Est-ce là sa principale vocation ?
Le pape Pie X a réformé la liturgie catholique au début du xxe siècle, en interdisant aux compositeurs de motets et messes de s’inspirer du style profane, d’opéra. Désormais n’y seront admis que le chant grégorien et la polyphonie imitant le style a cappella de Palestrina (c’était déjà l’idéal du « cécilianisme » allemand au xixe siècle). En fait de grégorien, il s’agissait – sous l’angle de l’exécution – de celui que mettaient alors à l’honneur les moines bénédictins de Solesmes, attelés à sa restitution depuis 1856 sur la base des anciens manuscrits. On admire leur travail paléographique, mais leur façon de chanter ne repose sur aucune base réellement traditionnelle. Néanmoins elle répondait – répond toujours – à un certain idéal de piété catholique que l’on peut juger doucereux et sentimental. C’est à ce contexte de catholicisme plus ou moins « saint-sulpicien » que se rattache la phrase que vous citez. On aime ou n’aime pas ce style, c’est selon. Les moines disent volontiers que leur chant se conforme aux trois vœux monastiques : obéissance, humilité, chasteté. Je voudrais bien qu’ils me citent un seul écrit médiéval appuyant cette affirmation…
Partagez-vous le point de vue du chef d’orchestre Otto Klemperer qui disait « La musique est infinie, elle est le langage de l’âme » ? Cette sentence s’applique parfaitement, me semble-t-il, au chant grégorien.
Oui ! La musique est infinie parce que langage de l’âme ; donc immatérielle, spirituelle, largement ouverte sur la sensibilité, l’imaginaire, le rêve… En disant cela, Klemperer pensait probablement aux philosophes, poètes, musiciens romantiques qui l’ont dit avant lui. Et certes, on peut appliquer cette sentence à la cantilène grégorienne. Mais elle procède d’un autre plan de l’âme – si l’on peut dire – que la musique moderne : plus dépouillé, intériorisé, quintessencié, davantage détaché des choses de ce monde et des affects humains qu’une Passion de Bach ou qu’une messe de Mozart (pour rester dans le domaine religieux).
Si ce chant est aujourd’hui encore apprécié pour sa musicalité, ses paroles latines font de lui, aux yeux de certains, le symbole d’une église rétrograde. Qu’en pensez-vous ?
Actuellement, en matière de grégorien deux camps se font face : celui des catholiques traditionalistes et celui des chanteurs laïcs. Les catholiques conservateurs s’approprient le grégorien comme leur bien propre, partie intégrante de la liturgie en latin qu’ils défendent. Sur le fond ils n’ont pas tort, cependant leur optique est beaucoup trop étroite, voire sectaire. Ils se replient sur l’esthétique solesmienne et catholique du xixe siècle et refusent de voir le grégorien comme ce qu’il est en réalité : un chant sacré parmi d’autres (de même que, par exemple, la psalmodie coranique, le chant synagogal, le chant chrétien gréco-byzantin), et une mélodie modale analogue à celle des traditions orientales. En le reliant à ces traditions qui lui sont proches, on lui restitue son vrai visage. C’est ce qu’on fait, depuis 1975, quelques chanteurs ou chefs de chœur laïcs, au premier rang desquels Marcel Pérès, fondateur en 1982 de l’ensemble vocal Organum. À travers ses concerts et ses nombreux disques, il a accompli un travail extraordinaire pour retrouver la tradition authentique du chant sacré latin, occidental. Toutefois il s’est peu intéressé au grégorien le plus ancien, celui d’avant l’an mil ; son domaine de prédilection ce sont le vieux-romain (un répertoire parallèle au grégorien) et les plains-chants du bas Moyen Âge et de l’époque baroque. Pour le grégorien primitif, Damien Poisblaud mérite la palme. Œuvrant dans la ligne de Pérès, il vient de faire paraître, avec ses « chantre du Thoronet », un sublime disque d’offertoires.
En entendant ce grégorien non conforme au style standard, certaines personnes se récrient : « exotique, oriental ! » Or, si par miracle ces personnes pouvaient écouter l’enregistrement d’un chantre du viiie siècle, elles auraient la même réaction ! Lorsque, voici un demi-siècle, les Corses ont réentendu leurs propres polyphonies traditionnelles qu’ils avaient oubliées mais dont la tradition s’était perpétuée en quelques endroits, ils ont dit : « c’est arabe ! » La Corse est aussi un lieu de mémoire pour l’antique tradition des chantres, que Pie X et Solesmes ont détruite au profit de la chorale paroissiale. En réalité le chant liturgique selon Pérès ou Poisblaud n’est ni oriental, ni occidental. Pour nos oreilles il sonne oriental simplement parce que l’Occident a évolué vers une autre esthétique depuis l’an mil (de 1054 date le schisme officiel entre les chrétientés latine et grecque), tandis que l’Orient a conservé, au moins dans l’esprit, celle de l’ancien temps. Ce qui sonne oriental, ce sont par exemple les petits ornements, tremblements, vibrations de la voix : eh bien, ces ornements sont consignés avec minutie dans les notations « neumatiques » depuis l’an 900. Ainsi de deux choses l’une : soit on essaie de les restituer en « faisant oriental », soit on les ignore à l’instar des moines de Solesmes ; mais alors il ne faut point prétendre à l’authenticité…
Jean
Nombre de messages : 8942 Age : 81 Date d'inscription : 14/05/2007
Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien 2014-12-11, 16:57
c]]"Depuis le Moyen Âge jusqu'au milieu du 19e siècle et, dans certains cas, jusqu'au concile de Vatican II, le plain-chant a été chanté en polyphonie dans toute l'Europe selon des modalités extrêmement variables. Il n'est pas exagéré de dire que pendant des siècles, il a représenté l'image sonore qui identifiait la musique d'église pour les fidèles. Le faux-bourdon a été un moyen par lequel les chanteurs embellissaient la mélodie de plain-chant dans le but de solenniser l'office divin. Pour faire revivre ces musiques, il fallait notamment prendre la mesure, puis assimiler la part importante d'oralité de ces « manières de chanter le plain-chant », une simple exécution des sources écrites ne permettant pas de retrouver les charmes et les beautés des faux-bourdons conservés. La réponse apportée par Dominique Vellard a été de travailler pendant toute la durée du projet avec un même groupe de chanteurs, afin de mettre en place des réflexes collectifs propres à saisir la spécificité des faux-bourdons. Ce double disque résulte ainsi d'un travail de quatre ans, au cours desquels plusieurs milliers d'exemples ont été repérés, tant manuscrits qu'imprimés. La sélection proposée rend compte de la variété et de la diversité du plain-chant polyphonique français sur une période de quatre siècles"[/i] Philippe Ganguilhem
Du "grégorien" comme il était chanté à plusieurs voix du XVIème au XIXème siècle...et même au 20ème: lors de ma scolarité en secondaire dans un "petit séminaire" , les jours de fête, nous chantions, principalement les psaumes des vespres dans la forme "faux-bourdons" ; j'aimais énormément et suis très "planant" de les retrouver en partie dans ce double cd superpement chanté par l'ensemble Gilles Binchois et la Maîtrise de Toulouse dirigés par Dominique Vellard
un extrait:
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Sujet: Re: La musique au Moyen Âge et le chant grégorien