Je vous partage un témoignage de Natalie Dessay
Je sais que certains l'aiment beaucoup alors je suis allée le chercher exprès !
Natalie Dessay : « Ce qui m’intéresse dans la vie, c’est le jeu »
Après 25 ans de triomphes à l’opéra dans les rôles incontournables du répertoire lyrique, la cantatrice Natalie Dessay réalise ses premiers pas au théâtre.
Le jeu« Quand j’étais petite, je rêvais d’être danseuse étoile, mais il m’est apparu assez clairement que je ne possédais pas les qualités nécessaires à une telle carrière. Plus tard, de 18 à 20 ans, j’ai étudié l’art dramatique au conservatoire de Bordeaux. C’est ainsi, par le biais du théâtre, que je suis arrivée au chant, même si j’avais déjà suivi quelques cours auparavant. Après la représentation d’une pièce étudiante où je chantais un peu, mon entourage m’a vivement encouragée à poursuivre dans cette voie. En vérité, ce qui m’intéresse dans la vie, c’est le jeu. Mais j’ai alors pensé que je parviendrais plus vite à jouer sur scène en chantant qu’en parlant, ce qui s’est révélé exact dans la mesure où j’ai mis trente ans avant de parvenir au théâtre parlé. Ainsi, et sans que cela entame en rien ma passion pour la musique, l’incarnation de personnages divers et variés s’est immédiatement imposée comme mon principal moteur. »
Premiers cours« Ma première professeure de chant avait été bouchère charcutière. Je l’ai rencontrée un peu par hasard, alors qu’elle enseignait le piano : mes parents souhaitaient alors que je poursuive l’apprentissage de cet instrument. Après quelques leçons, il s’est avéré que nous nous ennuyions beaucoup toutes les deux. Elle avait fait partie d’un chœur dans sa jeunesse et adorait chanter : elle a proposé de m’apprendre plutôt le chant. J’ai accepté, principalement parce qu’à l’adolescence j’aimais être originale et qu’il me semblait assez singulier de prendre des cours de chant classique à 17 ans… J’ai arrêté de suivre ses cours six mois après et je ne l’ai retrouvée que trois années plus tard. Il y a eu par la suite d’autres professeurs qui ont marqué mon parcours, notamment Jean-Pierre Blivet, chez qui je suis restée dix ans et qui m’a aussi formée à la technique du chant, ainsi que Christine Schweitzer, qui m’a beaucoup aidée dans ma rééducation après des opérations aux cordes vocales en 2002 et 2004. »
L’Opéra de Paris« J’ai chanté pendant un an dans le Chœur du Capitole de Toulouse. Ensuite, je suis retournée à Bordeaux, toujours dans des chœurs mais avec le projet de devenir soliste. J’ai participé en 1989 au concours de Voix nouvelles. Après la finale, j’ai trouvé un agent et je suis entrée à l’école de l’Opéra de Paris, qui se situait à l’époque à l’Opéra-Comique sous la direction de Michel Sénéchal. »
Le répertoire et les autres voix« Au début, j’écoutais beaucoup Edita Gruberova, une chanteuse slovaque à la voix aiguë et agile, assez méconnue en France mais très célèbre à Vienne et dont le répertoire s’apparente au mien. Il faut savoir que, à l’opéra, notre voix détermine les rôles que nous allons incarner. J’étais donc destinée, comme soprano léger, aux personnages de jeune première, de courtisane et de soubrette. Je pense d’ailleurs avoir eu la chance de jouer tous les rôles emblématiques de mon répertoire : la Manon de Massenet, la Lucia di Lammermoor de Donizetti, Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas, Zerbinette dans Ariane à Naxos de Strauss… Bien sûr, j’aime aussi écouter les chanteuses qui ne partagent pas mon répertoire, comme Maria Callas, Renata Scotto, Ileana Cotrubas, mais aussi Barbra Streisand et des chanteuses de jazz telles que Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. »
« Lorsqu’on souhaite découvrir l’opéra, il me semble qu’il convient de commencer par les œuvres les plus accessibles. Je constate souvent que La Flûte enchantée de Mozart, qui ne figure pas parmi mes œuvres favorites, fonctionne très bien auprès des spectateurs non avertis, qui en apprécient particulièrement la dimension festive. Carmen s’impose aussi comme une œuvre accessible dans la mesure où Bizet a composé une incroyable série de “hits”. Ensuite, on peut s’orienter vers l’opéra italien et découvrir les œuvres les plus fameuses de Verdi et notamment les beaux airs de La Traviata. Puis on peut écouter les autres opéras de Mozart, tels que Così fan tutte, Don Giovanni ou encore Les Noces de Figaro, qui s’apparente davantage à une pièce de théâtre chantée. En ce qui concerne l’opéra baroque, on peut commencer par Platée de Rameau, l’histoire amusante d’une grenouille amoureuse. Pour ceux qui apprécient les sagas, il faut se tourner vers les opéras de Wagner, où l’orchestre impressionne toujours énormément. Personnellement, mon opéra préféré reste Eugène Onéguine de Tchaïkovski. L’histoire a été écrite par Pouchkine, si bien qu’elle se révèle aussi sublime que la musique – une exception à l’opéra, où les personnages demeurent souvent assez conventionnels et les intrigues un peu légères… »
La radio« J’étais heureuse que France Inter, ma station de radio favorite, me propose une émission où je puisse parler de musique classique. Au moment de créer l’émission, nous nous sommes demandé, avec le pianiste Philippe Cassard, quel genre de musique nous aimerions entendre à la radio : même quand on est musicien classique, on conserve une très grande curiosité pour ce qu’on ne connaît pas. Nous avons donc proposé un choix assez large autour de thèmes variés en essayant d’être suffisamment éclectiques pour titiller la curiosité des auditeurs. Au final, nous avons construit une émission qui nous ressemble. »
La première« Après trente ans d’attente, j’ai vécu ma première au théâtre cette année dans Und. Non seulement je n’ai pas été déçue par cette première expérience, mais celle-ci a même largement dépassé mes attentes. À l’origine de ce projet, il y a d’abord eu des rencontres magnifiques, avec le metteur en scène Jacques Vincey, avec le dramaturge et traducteur du texte Vanasay Khamphommala, avec le musicien Alexandre Meyer. J’avais fait part à Jacques Vincey de mon désir de jouer à l’occasion d’une représentation des Bonnes de Jean Genet il y a quelques années… J’ai été très heureuse qu’il s’en souvienne et qu’il me propose ce texte de Howard Barker, que je reconnais ne pas avoir parfaitement compris à la première lecture mais qui a immédiatement suscité mon intérêt et ma curiosité. À l’opéra, le texte demeure secondaire, alors que j’ai eu cette fois le plaisir de me l’approprier. J’aime la liberté immense qu’offre le théâtre : je suis toute seule sur scène et c’est moi qui décide. Le parcours reste très précis mais, si je veux attendre une minute entre deux phrases, j’en ai le droit. Il est par ailleurs libérateur de savoir que je ne vais pas être prisonnière de ma forme physique. Si je suis fatiguée ou triste, ces états vont nourrir mon jeu, à l’inverse de ce qui advient à l’opéra, où l’on doit impérativement être en pleine forme. Maintenant, je rêve de jouer Oh les beaux jours de Beckett et je me donne trente ans pour y arriver. Mais c’est presque une boutade : il y a tellement de belles choses à jouer en attendant. »
Les metteurs en scène« Ce n’est pas tant le texte qui importe que les personnes avec qui l’on travaille. À l’opéra comme au théâtre, je me repose sur le metteur en scène. Cette relation se révèle d’ailleurs encore plus étroite au théâtre dans la mesure où la part créative y est plus importante qu’à l’opéra, où la musique est déjà écrite. Au théâtre, l’acteur réinvente sa propre musique ou, plus exactement, la musique de l’auteur. À la différence de certains acteurs qui détestent être trop dirigés, je parviens mieux à trouver ma liberté dans un cadre serré… Je ne me sens pas attaquée dans mon intégrité artistique lorsqu’on m’adresse des remarques sur mon jeu. Bien au contraire, cela signifie que l’on m’a observée et que l’on s’est intéressé à mon travail. Je crois que, pour que cela fonctionne, il faut que le metteur en scène aime son interprète, qu’il ait envie de le nourrir, de lui raconter des histoires, de l’observer pour savoir lui parler de la façon la plus juste possible et permettre ainsi son épanouissement. »