HANS WERNER HENZE: L'histoire d'une BARCAROLE.
<< J'ai composé cette musique aquatique à l'automne 1979. Il s'agissait d'une
commande de l'orchestre de la Tonhalle de Zurich,[...] La forme de l'oeuvre fait penser à l'ancienne SINFONIA en un mouvement,avec son introduction lente et sa section principale sur un tempo enlevé. Dans la section lente,deux éléments sont essentiellement introduits,l'un sous
forme de fanfare polyphonique pour cuivres,traité un peu à la manière de MONTEVERDI,l'autre
tel un appel,une intimation,un signal de départ,une sommation collective (que sais-je?), personnellement,je me suis imaginé que le passeur Charon et ses camarades de travail donnaient ce signal,avant que les mourants et les morts ne descendent en barque le Styx et
ne soient transportés sur l'autre rive,puis,à la fin de l'introduction,paraît la barcarolle proprement dite,introduite par l'alto solo. Dès qu'elle retentit,on a comme le sentiment que les chants funèbres que l'on vient d'entendre,en particulier aux cordes,n'étaient rien d'autre qu'autant de préludes à cette barcarolle.
C'est à ce moment-là que l'on bascule dans la section rapide de la pièce. Pour cela je me suis
représenté un être humain traversant le Styx,quelqu'un qui,mourant,revoit passant en lui et sur lui,en une succession rapide,certains moments décisifs de sa vie achevée. Pour mieux rendre compte de cette idée,je développe sur cette barcarolle un certain nombre de variations que je fais interrompre à plusieurs reprises par les appels de Charon -- Ttrompettes et
trombones -- et que j'entrelace également des aspects sans cesse mouvants d'autres éléments apparus au cours de l'introduction,parmi lesquels une citation de la barcarolle de
mon opéra WE COME TO THE RIVER (dans lequel on entend le Eton Boating Song) ou encore
les lamentations déjà évoquées. Le voyageur pourrait tout aussi bien être Ulysse -- la section
rapide de la pièce évoquerait alors la tempête et la nuit au terme de laquelle le voyageur
s'éveille dans la clarté du matin sur le rivage de l'île qui est toute sa patrie.>>
HANS WERNER HENZE.
Il faut savoir,pour la petite histoire,que courant 1953,HENZE,profondément miné et déçu tant
par l'esprit de castes de l'avant-garde que par le climat toujours plus intolérant de l'ère Adenauer,plia bagage et s'exila en Italie où il vit toujours; il y souhaita vivre et travailler loin
de tous les diktats et dogmes imposés par une bande d'intégristes.
Lorsqu'en 1957,furent jouées ses Nachtücke and Arien,dès les premières mesures,BOULEZ,
STOCKHAUSEN et NONO,les anciens porte-parole de la seconde école de Darmstadt,quittèrent
ostensiblement la salle de concert. Ils se sentirent trahis par l'adjuration à la beauté de HENZE
considérée comme impudique.