Jean-Sébastien Bach: Suites pour violoncelle (Rostropovitch, 1991)
par Guillaume-Hugues Fernay
Le défi d'un immense interprète est ici dévoilé: interpréter Bach, en particulier ses Suites pour violoncelle seul, relève d'un engagement rare, entier, aussi physique et technicien que mental voire spirituel. En 1991, dans l'ample nef de la Basilique de Vézelay, Rostro s'attèle à son oeuvre, avec un ascétisme rigoureux, une intensité décantée que viennent adoucir, cependant, -fait propre au montage-, une courte séance d'explication, introduisant chacune des six Suites.
Rostro debout, pédagogue; Rostro assis, à son clavier: pianiste, l'interprète capte le génie des formules d'un Bach atemporel, puissant alchimiste du geste musical. En 1991, Rostropovitch fait valoir sont instinct d'interprète et sa connaissance du cycle: le verbe est enlevé, l'oeil avide, aux aguets, facétieux et imagé, riche d'anecdotes et de formules synthétiques. Un miracle d'érudition musicienne, naturelle et sensitive.
Inutile de souligner combien nous avons affaire dans ce film remarquable et de bout en bout passionnant, à un témoignage clé, l'un des points d'orgue d'une carrière faite, par ailleurs, d'engagements civiques et politiques retentissants, d'actions humanistes éclairant la noirceur, barbare et violente, de notre monde chahuté. Selon une image que l'interprète aime développer, nous voici dans le vaisseau d'un capitaine sûr de son intuition, gardant son cap quoiqu'il arrive: les Suites sont une odyssée pour violoncelle, l'expérience d'une vie, tout un monde à la fois lointain et proche, simplement et intensément humain. Le geste de Rostro et son implication interprétative déploie une sincérité de ton, lumineuse, limpide qui retrouve à sa source, la pureté musicale de chaque Suite.
L'oeuvre a probablement été écrite à Cöthen, alors que Bach y était employé pour fournir de la musique de chambre, de 1717 à 1723. Elle est connue par des manuscrits indirects, mais d'époque, en particulier celui que recopia l'épouse du maître, Anna Magdalena Bach vers 1730. Les quatre premières partagent une pratique commune, mais la Cinquième exige de l'interprète qu'il abaisse la corde aiguë d'un ton, et la Sixième a été conçue pour un instrument à 5 cordes.
L'enchaînement des six Suites compose cette "symphonie pour violoncelle" à laquelle l'immense artiste instille, une âme tendre, recueillie, vécue. Miraculeux. Merci à Emi de nous reproposer cet "essentiel", en une édition spéciale de 2 dvd, à l'occasion des 80 ans de Mstislav Rostropovitch.
"Le violoncelle du siècle", édition spéciale
Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
Six Suites pour violoncelle, BWV 1007 à 1012.
Mstislav Rostropovitch, violoncelle