Dense, parfaitement articulé, clair et concis, mêlant l'anecdote aux remarques de synthèse, cette biographie qui suit un déroulement chronologique, ponctué de commentaires sur les oeuvres citées, se révèle incontournable.
Quand meurt Louis Spohr, en 1859, (né quelques 75 années plus tôt en 1784), Richard Wagner achève la composition de Tristan und Isolde. Entretemps, le musicien a pu approcher Beethoven, Schubert, Berlioz. Il est donc contemporain d'une époque qui voit l'évolution du paysage européen, du clacissicisme viennois, à l'essor des romantiques tels Schumann, Mendelssohn, Chopin auxquels il survit, sans omettre, l'avènement de la musique de l'avenir, incarnée par Liszt et surtout Wagner. Il a pu observer la comète Rossini, feu embrasé qui s'éteint après son Guillaume Tell de 1829. Alors, Spohr, classique ou romantique? La question taraude les habituels amateurs, avides d'attribuer des étiquettes au risque de marteler des schématismes. En soulignant son tempérament enclin à la tendresse et à la rêverie, Hélène Cao tranche cependant sans ambiguïté. Lire d'urgence, la dernière partie du dernier chapitre: "classique ou romantique?" pour connaître la subtilité d'une oeuvre à redécouvrir, avec même la période de la création où son génie s'est le mieux révélé.
L'auteur s'interroge avec acuité sur la position d'un auteur justement inclassable et qui résistant à la catégorisation, a glissé dans l'oubli, sous le coup des jugements classificateurs des historiens. Or, Spohr fut en son temps unanimement célébré. Aux facettes d'un talent multiple (violoniste, chef d'orchestre, professeur), l'homme ajoute une activité de compositeur (presque 300 partitions) et complément propice à le rendre plus vivant, des Mémoires captivantes sur son ordinaire et son époque (tenues jusqu'en 1838). Voici donc la première contribution d'importance sur la carrière d'un auteur Biedermeier dont l'oeuvre et l'influence doivent être réévalués selon les documents et analyses en présence.
Origines, foyer parental (favorable à l'éclosion de ses dons précoces comme violoniste), ascension et reconnaissance (Cour de Brunswick, Cour de Gotha, Cassel), voyages (Italie, Russie, France...), découvertes (Mozart, Grétry, Beethoven, Cherubini...), mariage avec Dorette (née Scheidler)...
Idéalement illustré (portraits de ses proches, amis, patrons, relations musicales...), ponctué par l'analyse des oeuvres parvenues, explicitées dans leur contexte de genèse et de création, le texte rend vivant le parcours d'un musicien accompli, véritable force de la nature (il mesurait deux mètres!), qui ne ménage pas sa peine. Musique de chambre, symphonies, opéras, oratorios (dont "Das Jüngste Gericht", le Jugement dernier, pour l'anniversaire de Napoléon en 1812), Hélène Cao feuillète avec précision, un catalogue d'autant plus passionnant qu'il est inconnu et qu'il met en parallèle son style, avec les modèles incontournables que sont Mozart, Haydn, Beethoven. Parmi de véritables découvertes, citons son Faust, créé par Weber, à Prague en 1816, la ville qui applaudit avant Vienne, le Don Giovanni de Mozart, tout un symbole; son séjour parisien (à partir de 1820) pendant lequel Cherubini sait lui réserver une oreille attentive et... critique, puis celui de 1844 où il rencontre Auber, Halévy, Adam, Berlioz...; la composition de son opéra Jessonda, créé en 1823 qui inaugure "une mise en musique continue" comme le fait au même moment Weber, pour son Euryanthe. C'est un dramaturge qui contemporain des premiers ouvrages de Wagner (Vaisseau Fantôme, Tannhäuser) qu'il rencontre en 1846, partageant ses positions politiques, apportera sa pierre à l'édifice du drame de langue allemande jusqu'en 1845, avec "Die Kreuzfahrer" (Les Croisés), créé à Cassel.
Une place particulière est réservée tout autant, à la musique symphonique: Spohr compose pas moins de 10 symphonies, dont toutes apportent une contribution forte à la notion de "poétisation de la musique instrumentale" si propre aux auteurs germaniques.
Très instructif sur sa place et sa compréhension de l'époque, de ses auteurs majeurs, le chapitre X, évoque "Spohr face à ses contemporains". Des phrases laminaires, extraites de ses Mémoires égratignent en tournures acérées tous les compositeurs dont il entend les oeuvres. Un régal!
Dense, parfaitement articulé, clair et concis, mêlant l'anecdote aux remarques de synthèse, cette biographie qui suit un déroulement chronologique, ponctué de commentaires sur les oeuvres citées, se révèle incontournable. Une lecture capitale pour une discographie à bâtir et des oeuvres à redécouvrir au concert. Intérêt assuré.
Louis Spohr ou le don d'être heureux
N°20 de la Collection "Mélophiles"
Compléments: catalogue des oeuvres, tableau comparé de sa vie et du contexte littéraire et musical, historique et politique.
par Adrien De Vries
http://www.classiquenews.com