par Hugo Papbst
Pertinente idée que d'avoir transférer en dvd, le cinquième opéra de Dusapin, au moment de sa création lyonnaise, en mars 2006, après la première mondiale, à Berlin, en 2004. Non que sa dramaturgie soit captivante, encore que les chanteurs sont invités à se dépasser autant vocalement que physiquement...
Voyez la chevauchée sur les aiguilles de la colossale horloge, mais il s'agit surtout ici de témoigner d'une intensité déclamatoire, assez hallucinante, déroulée dans l'espace d'une seule nuit (d'où son sous-titre) dont l'expressionnisme assumé dans le style de l'écrivain Christopher Marlowe ("Tragical history of Docteur Faustus") que Dusapin cite dans son livret, convoque une action suspendue comme un oratorio. Y paraît aussi l'accablante touffeur du théâtre de Beckett, sa nudité nihiliste et son vide terrifiant, dont Dusapin est adepte.
Les cinq protagonistes forment un choeur dont le texte assène sa décapante vérité, ses obsessions malsaines, ses violences nauséeuses, ample et finalement dérisoire ivresse du pouvoir. Dément narcissique ou apôtre de l'inhumanité, celle d'une espèce déchue, Faustus aspire à la lumière, non pas celle des Lumières ou d'Apollon, mais plutôt à l'inverse d'un mégapouvoir, d'une omnipotence, prisonnière d'elle-même. Tout cela se réalise à mesure que la stridence en mineur se déroule dans un espace-temps condensé. Verticalité d'une aspiration aussi vaine qu'arrogante. Horizontalité d'une vie condamnée malgré ses prétentions honteusement supérieures, à mourir.
Le Faust de Dusapin n' a plus rien d'émouvant. Il est même la figure abjecte de l'horreur. Le contraire et l'antithèse de son précédent héros, Perelà, l'homme de fumée, protagoniste de son précédent opéra. Si Perelà, beau, jeune, brillant, ne veut rien, Faustus, démon en négatif, veut tout, il n'a que ça à vrai dire car il est d'une laideur repoussante, morale et physique. Il a perdu toute humanité. En rien fraternel ni repentant: il reste maudit, empoisonné par sa voracité pour le pouvoir et la domination. Cet être déformé, qui a forme monstrueuse, corrompue, pervertie jusqu'à la moelle, vocifère outre sa colère et ses ordres, un mal-être d'un grandiose tragique qui rejoint Shakespeare dont Marlowe est le contemporain. La mise en scène de Peter Mussbach est fidèle à ses précédentes réalisations, glaciale, d'une efficacité clinique, parfaitement tranchée: elle cible son but ni plus ni moins, basculant de l'ombre inquiétante, à la violence du cauchemar. Lire notre critique de la Traviata avec Mireille Delunsch, présentée à Aix en Provence.
Le dvd bonus qui compile une série de témoignages du compositeur et des interprètes, apporte un éclairage judicieux sur la genèse et l'enjeu philosophique de l'oeuvre. Jamais le désenchantement et la distanciation désillusionnée et poétique du compositeur, n'ont été plus présents.
Pascal Dusapin,
Faustus, the last night, 2006
Livret du compositeur
Georg Nigl, Faustus
Urban Malmberg, Mephistopheles
Robert Wörle, Sly
Jaco Huijpen, Togod
Caroline Stein, L'ange
Orchestre de l’Opéra de Lyon,
Jonathan Stockhammer, direction
Peter Mussbach, mise en scène