par Guillaume-Hugues Fernay
On reste captivé par ce Falstaff, en provenance du Maggio Musicale Fiorentino cru 2006: truculent, vif, sans temps mort, d'une indéniable efficacité scénique. Luca Ronconi emporte la machinerie délirante d'un ouvrage mi-grotesque, mi-humain, avec finesse et précision.
Les tableaux sont sobres, parfaitement enchaînés, lisibles même, et aussi oniriques voire spectaculaires, comme le changement à vue pour la mascarade finale, qui permet de passer de la chambre de Falstaff, à l'auberge de la Jarretière, au parc royal de Windsor, à son chêne automnal, dont l'envahissante et noble frondaison assure le passage entre la bouffonnerie qui précède et l'onirisme qui s'accomplit. L'idée du lit qui reste à sa place, citant Peter Pan, et convertissant le héros jusque là difforme et obscène, en enfant à qui l'on raconte des histoires, est excellente. Falstaff, héros magnifique, est à la fois ce Don Quichotte libidineux et grossier,"roi de la bedaine", mais aussi cette âme naïve, qui veut aimer et être aimé. Dans le rôle-titre, Raimondi montre malgré une voix fatiguée bien qu'encore autoritaire, qu'il est un fabuleux acteur. A ses côtés, Frittoli (Alice), Lanza (Ford) et Cantarero (Nanetta) s'engagent à l'unisson pour exprimer dans ce jeu multiple, la guerre des sexes et la revanche des femmes dans un labyrinthe du "tel est pris qui croyant prendre". Avisées et pas dupes, elles mènent la danse. Et dans ce caquetage de poulailler, où les hommes jaloux, terrifiés à l'idée de se voir pousser des cornes, rêveraient de séquestrer des épouses dociles; où les femmes excédées par le machisme ambiant imaginent un pur amour romantique, la force de l'action dénonce les dérives d'une société bien peu reluisante. La farce se retourne contre chacun des personnages pris isolément, comme la fugue finale se renverse et s'adresse au public. Falstaff diabolisé, c'est tout le genre humain qui en prend pour son grade. Nous sommes tous des enfants de Falstaff: ni tout blancs, ni tout noirs. Contradictoires, c'est à dire humains.
Il y a dans cette production, une compréhension profonde du message du dernier Verdi. Au soir de sa vie, le compositeur donne le meilleur de lui-même: une méditation buffa, faussement légère, entre cynisme et tendresse. Autant de qualités qui sous la baguette nerveuse, affûtée, habitée de Zubin Mehta, sont ravivées avec maestrià. Excellent spectacle qui mérite amplement sa publication en dvd.
Distribution
Ruggero Raimondi, Sir John Falstaff
Manuel Lanza, Ford
Daniil Shtoda, Fenton
Carlo Bosi, Doctore Cajus
Gianluca Floris, Bardolfo
Luigi Roni, Pistola
Barbara Frittoli, Alice Ford
Mariola Cantarero, Nannetta
Elena Zilio, Mrs Quickly
Maura Polverelli, Mrs Meg Page
Orchestre e coro del Maggio Muscale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Luca Ronconi, mise en scène