On connaît Paul McCreesh et son goût pour les reconstitutions liturgiques de tous ordres. Cela nous a valu des disques magnifiques comme la Messe de Requiem de Morales, la Messe de l’Epiphanie de Jean-Sébastien Bach ou les Vêpres de Noël de Schütz (tous parus chez Archiv). Ici, nous sommes replongés dans les fastes vénitiens d’une messe de la veille de Noël en 1600. Saint-Marc bénéficiait alors d’une dérogation spécialement accordée par le pape lui permettant de célébrer la messe de minuit en tout début de soirée. La liturgie de Noël, honorée par la présence du légat pontifical et de tout ce que Venise comptait de princes et de hauts dignitaires, débutait en fait en début d’après-midi par les vêpres, suivies immédiatement des complies, des matines pour s’achever par la messe elle-même (pour laquelle la basilique s’illuminait de plus de mille cinq cents cierges), soit plus de six heures d’offices ininterrompus. A la dimension quasi théâtrale du cadre des cérémonies s’ajoutait celle de la musique composée spécialement pour l’acoustique de Saint-Marc qui permettait, grâce à ses diverses tribunes, de spectaculaires effets sonores richement exploités dans les compositions à plusieurs chœurs (cori spezzati) d’Adrian Wilaert, le premier a avoir utilisé ce procédé dans ce lieu, puis Giovanni Gabrieli et plus tard Monteverdi.
Pour recréer cette dimension festive, McCreesh convie plusieurs sources musicales. Pour l’ordinaire de la messe, il fait appel à la Missa Praeter rerum seriem a 7 de Cipriano de Rore (maître de chapelle à Saint-Marc de 1561 à 1564), composition tirant son matériau originel d’un motet homonyme de Josquin Desprez. Celui-ci est d’ailleurs sans cesse cité sous la forme d’un cantus firmus passant d’une voix à l’autre, les autres parties organisant autour de cette colonne vertébrale un jeu serré d’imitations tissant une écriture contrapuntique riche qui laisse parfois la place à des trio ou à des quatuors. Pour le propre (lecture, évangile, etc.), le plain-chant caractéristique de Venise à cette époque est utilisé. Quant aux motets et pièces instrumentales venant s’intercaler entre ces différentes parties, Giovanni Gabrieli a été mis à contribution, depuis le motet initial Audite principes jusqu’à la pièce conclusive, Quem vidisti pastores, restituée pour l’occasion dans sa forme prétendue originelle à dix-huit voix. Ces compositions impressionnent par leur ampleur sonore et leur richesse mélodique, les voix étant réparties en plusieurs chœurs diversement colorés par les instruments, sacqueboutes, cornets, dulcian et autres violes.
L’éclat de l’interprétation ne le cède en rien à la pertinence ni à l’intelligence du programme, constatation qui permet de vérifier que la musique vénitienne, et Gabrieli particulièrement, conviennent bien à McCreesh (on se souvient, toujours chez Archiv, de son enregistrement des musiques pour San Rocco). Il parvient à nous situer au cœur des fastes de cette messe, instaurant un climat festif mais toujours fervent à la faveur du plain-chant (qui vient intercaler des plages de repos entre les chatoyantes partitions de Gabrieli, même si son manque de réelle éloquence peut lasser) et de l’intense partition de Rore. Celle-ci ménage d’exaltantes envolées vers les hauteurs grâce à un chœur homogène, solidement assis sur des pupitres graves marmoréens, permettant aux falsettistes les effusions les plus lyriques. Les instrumentistes ne sont pas en reste dans les motets et les canzoni. McCreesh, qui parvient toujours à éviter l’écueil de l’anecdotique, est bien le chantre idéal de ces musiques.
Gabrieli Consort and Players( ensemble baroque )
Paul McCreesh( direction )
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