L'Arlésienne de Georges Bizet

L'Arlésienne est une musique de scène composée par Georges Bizet pour le drame en trois actes éponyme d'Alphonse Daudet, et créée à Paris au Théâtre du Vaudeville, le 1er octobre 1872. Joués entre ou en même temps que les dialogues (mélodrames), les différents numéros sont liés à la trame littéraire ou théâtrale. Ils soulignent la dramaturgie, approfondissent la psychologie des personnages, décrivent des événements non représentés sur scène ou assurent la transition entre les scènes ou les actes (intermezzo).

La musique de Bizet se compose de 27 numéros (certains seulement quelques mesures) pour la voix, le choeur et le petit orchestre, s'étendant des solos courts aux entr'actes plus longs . Bizet lui-même a joué l' harmonium dans les coulisses de la première représentation.

Cette partition a aussi été adaptée en deux suites de concert pour orchestre symphonique, de quatre mouvements chacune. Certains thèmes comme les chants de Noël "La Marcho di Rei" (cf. La Marche des rois reprenant la Marche de Turenne attribuée à Jean-Baptiste Lully) ou "La danso di chivau frus" (La danse des chevaux fringants/fous/en rut) sont directement inspirés de musiques traditionnelles provençales. Leurs adaptations et surtout leurs orchestrations resteront, avec Le Songe d’une nuit d’été de Felix Mendelssohn et le Peer Gynt d'Edvard Grieg, comme le meilleur exemple du genre théâtro-musical.

La musique de scène

Comme pour deux de ses opéras précédents, Les Pêcheurs de perles et La Jolie Fille de Perth, la musique de scène est une commande de Léon Carvalho alors directeur du théâtre du Vaudeville.

La partition est découpée en vingt-sept numéros dont l'ouverture, seize courts "mélodrames" de quelques mesures, six chœurs, des entractes et des intermezzos. L'orchestre est réduit à vingt-six musiciens, les figurants chantant les chœurs, le compositeur dirigeant les huit seules représentations. Si la musique est plutôt bien accueillie, la pièce de Daudet est un cuisant échec, le troisième consécutif après Lise Tavernier et Tartarin de Tarascon.

(1) Ouverture - la Marche des Rois; Le thème de L'Innocent; Thème de Frédéri.

Acte 1
Tableau 1: La ferme du Castelet Dans le premier mélodrame (n ° 2) Francet Mamaï, le grand-père de Frédéri, raconte au berger Balthazar et au jeune frère de Frédéri (dit 'l'Innocent') la passion de Fredéri pour une fille d'Arles, tandis que l ' Innocent, dont le thème domine ce numéro et les deux suivants, essaie de parler au berger d'une fable sur un loup attaquant une chèvre.

Le mélodrame suivant (3) relie les première et deuxième scènes de la pièce, tandis que le vieux berger Balthazar continue de raconter l'histoire du loup à l'Innocent. Le troisième mélodrame (4) accompagne un échange entre Vivette, filleule de Rose Mamaï, et Balthazar, où le berger dit penser que quelque chose bouge dans l'esprit de l'Innocent.

Dans la scène VIII, après un chœur gai en coulisses, un mélodrame (5) introduit le thème de Mitifio, un troupeau de vaches; il est venu révéler que l'Arlésienne est la maîtresse d'un autre depuis deux ans. Dans le mélodrame et le chœur final (6), Frédéri s'apprête à partir pour Arles, mais Francet lui raconte ce que Mitifio a dit. Le refrain éclate avec une reprise de (5) alors que le thème de Frédéri accompagne son effondrement par le puits.

Acte 2
Tableau 2: Au bord de l'étang de Vaccarès en Camargue (7) plante le décor, une Pastorale (la Pastorale dans la deuxième suite) avec chœur et accompagnement en coulisses. Dans Mélodrame (8) Balthazar et l'Innocent entrent dans la scène III (en reprenant le thème de ce dernier), et (9) marque la sortie de Rose. Le mélodrame suivant (10) accompagne la découverte de Fréderi dans la cabane du berger, en colère parce que tout le monde l'espionne. Alors que chante un chœur sans paroles en coulisses, Balthazar part, n'ayant pas réussi à faire détruire à Frédéri les lettres de l'Arlésienne qu'il lit nuit et jour. Mélodrame (12) ne compte que six mesures; L'Innocent ne se souvient pas de l'histoire qu'il veut raconter à son frère. Dans le mélodrame suivant (13), (Er dou guet) décrit comme une «berceuse», l'Innocent s'endort en racontant son histoire. Un mélodrame de neuf mesures (14) évoque le désespoir de Rose face à l'état d'esprit de Fréderi.

Tableau 3: La cuisine du Castelet

La musique suivante (l'Intermezzo utilisé dans la deuxième suite) représente Vivette, la fille du coin qui veut épouser Frédéri, préparant ses colis pour prendre le ferry du Rhône (15). Après que les hommes se préparent à sortir, Rose et les autres craignent que Frédéri ne se suicide. A la fin de l'acte (16) quand Frédéri décide que Vivette peut l'aider à oublier son obsession, Balthazar et Rose expriment leur soulagement.

Viennent ensuite le menuet (17) et le carillon (18), tous deux utilisés dans la première suite.


Acte 3
Tableau 4: La cour de la ferme Castelet

Un Mélodrame andantin 6/8 (19) marque l'entrée de Mère Renaud dans la scène III, et dans l'Adagio suivant (l'Adagietto de la première Suite) Balthazar et Renaud se remémorent les temps anciens. Alors que tous partent pour manger, il y a une reprise de l'Andantino. Un autre Andantino suit la sortie de Frédéri et Vivette alors qu'ils déclarent leur amour (20). La farandole (21) (Danse dei Chivau-Frus) qui commence tranquillement et s'achève vers l'apogée voit Frédéri répondre avec fureur à Mitifio qui est venu dire à Balthazar qu'il s'enfuira avec la fille d'Arles (22).

Tableau 5: La cocoonerie

La farandole se fait entendre puis la Marche des rois est chantée par le chœur, après quoi les deux sont réunis (23); il y a reprise pour chœur de la Marche des rois (24). Dans (25) l'Innocent «se réveille» montrant qu'il comprend le problème de son frère. Dans le mélodrame (26), Rose est momentanément rassurée alors que l'horloge sonne trois, tandis que la finale est une puissante version tutti du thème de Frédéri (27) qui fait tomber le rideau.




Les suites pour orchestre symphonique

Dans le mois qui suit le fiasco théâtral, Bizet réutilise quatre numéros de sa musique, les restructurant et les adaptant en une suite de quatre mouvements pour orchestre symphonique. Le 10 novembre 1872, la première prestation au Cirque d'Hiver sous la direction de Jules Pasdeloup est un triomphe populaire jamais démenti depuis. En 1879, quatre ans après la mort du compositeur, un de ses amis, Ernest Guiraud, adapte à son tour une nouvelle suite sur des numéros de la musique de scène, ajoutant également un menuet emprunté au troisième acte de La Jolie Fille de Perth, opéra de 1866 d'après Walter Scott.

Les deux suites sont construites comme de petites symphonies de la période classique, en quatre mouvements. Pour s'adapter au format de concert, elles ne suivent pas la chronologie de la pièce de Daudet.
La première est constituée de l‘Ouverture no 1, du Menuetto no 17, du Mélodrame no 19 et du Carillon no 18 ;
La deuxième comprend la Pastorale no 7, l‘Intermezzo no 15, le Menuetto extrait d'un opéra et la Farandole reprise des no 23/24.

Le traditionnel orchestre symphonique s'enrichit de la toute dernière création instrumentale : le saxophone alto. Bizet, connaissant bien les problèmes de certains orchestres pour avoir un effectif complet, a noté sur certaines partitions des passages "à défaut" (écrits en notes plus petites) en cas d'absence de tel ou tel instrument. Par exemple, les solos de saxophone sont notés sur les partitions de première ou de deuxième clarinettes.

L'instrumentation comporte : 2 flûtes dont un piccolo, 2 hautbois dont un cor anglais, 2 clarinettes, 1 saxophone alto, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 2 timbales, grosse caisse, cymbales, tambourin et les cordes plus une harpe.


Détail des Suites

Suite n° 1

I. Prélude
Allegro deciso - Andantino - Tempo primo // Andante molto // Un poco meno lento3
Cette première partie reprend l'ouverture, n° 1 de la musique de scène. La Marche des rois débute double forte sur un véritable unisson4 dans le registre ténor, à la manière d'un chœur d'hommes. Suivent quatre variations d'orchestration faites de main de maître5 évoquant à partir du chant folklorique toute l'âme et la richesse de la Provence ; elles s'achèvent sur les trois accords lourds et sombres en do mineur préfigurant le drame. L'Andante molto qui suit, sous de délicats accords de cordes et de petits bois, nous fait découvrir pour l'une des toutes premières fois de l'histoire de la musique, la sonorité chaude et intime du saxophone alto jouant le thème du personnage de l'Innocent6. Tourmentée et tumultueuse par ses nuances extrêmes, ses chromatismes par palier, ses harmonies cyclothymiques, la troisième section incarne le personnage principal, Frédéri, et son amour fatal.

II. Menuetto
Allegro giocoso
La fin de ce mouvement est plus développée que la version scénique.

III. Adagietto
Adagio
Dans la version scénique, ce mouvement est précédé et suivi par un mélodrame qui, dans la suite, forme la section centrale du Carillon final ; pour ce faire, il a été transposé un demi-ton plus haut.

IV. Carillon
Allegro moderato


Suite n° 2

I. Pastorale
Andante sostenuto assai / Andantino / Tempo primo

II. Intermezzo
Andante moderato ma con moto / Allegro moderato / Tempo primo

III. Menuetto
Andantino quasi Allegretto

IV. Farandole
Allegro deciso (Tempo di marcia) / Allegro vivo e deciso
La Farandole finale reprend les no 23 et 24 de la musique de scène, réadaptés et augmentés par Guiraud. À l'origine, c'est un orchestre de scène qui, depuis les coulisses, joue la Danse du cheval fou, puis accompagne un chœur à quatre parties dans la chanson du pays des santons :
« De bon matin j'ai rencontré le train, De trois grands Rois qui allaient en voyage
De bon matin j'ai rencontré le train, De trois grands Rois dessus le grand chemin… »
Le « tour de force » de Bizet est, dans la dernière reprise du chant du no 23, d'avoir fait se superposer les deux musiques provençales avec naturel, comme si cela avait été prévu de longue date.
Guiraud, pour clore cette deuxième suite, reprend l'idée en la développant, jouant avec les difficultés de la superposition finale : les deux thèmes d'origine ne sont pas dans le même mode, ni dans le même tempo. Contrairement à Bizet, il présente en premier La marche des Rois en ré mineur dans un Tempo di Marcia, puis en canon décalé de deux temps. La Danse du cheval fou suit présentée plusieurs fois, d'abord à la flûte et à la clarinette, reprises de tout l'orchestre, sur un rythme ostinato de tambourin. La Marche revient plus vite, gardant le tempo de la Danse, et cette fois en si mineur (gamme relative) ; la danse alterne en changeant de mode, si mineur et fa# mineur. Mouvements enivrants chromatiques descendants des basses, virevoltes des petits bois et des violons nous ramènent un ré majeur triomphant, les deux thèmes se superposant dans une euphorie orchestrale. Les cuivres scandent la marche preste et véloce, les bois et les cordes tourbillonnent dans une danse vertigineuse et effrénée. La farandole pour la fête de la Saint-Éloi s'achève sur un « fortissississimo » (quadruple forte) époustouflant et étourdissant.



https://www.youtube.com/watch?v=hBlNa9_RCNw

De loin mon oeuvre préférée de Bizet

J'adore.

Très très beau, merci Joachim !   Et pour tous les commentaires.
Ah, Natalie Stutzmann, on l'avait oubliée sur le fil des chefs d'orchestre féminines..!!
Je la trouve absolument géniale, et quelle voix !!!! Rarissime (contralto).

Je préfère encore "Carmen", même si c'est très "rabâché", parce qu'il y a des arias extraordinaires.
Mais l'Arlésienne, c'est magnifique. J'en ai chanté quelques arias avec mes chorales...

J'adore aussi "Les pêcheurs de perles" de lui, c'est tellement onirique et romantique....

J'ai eu envie d'envoyer ça, l'adagietto de la suite 1, parce que j'ai trouvé le visuel trop beau....(magnifique compréhension du thème par l'infographiste, je trouve...).

https://youtu.be/7qF7ACrQZds

Que c'est romantique !

Cet air est beaucoup moins connu que ceux comme la Farandole dans l'Arlésienne, mais il est super joli aussi. J'ai très envie de voir ce spectacle musical un jour, j'attends que les scènes de ma région le proposent.

Après, pour le montage avec les images, je préfère écouter la musique sans pour imaginer, me faire ma propre idée :) mais j'ai zyeuter un peu de temps en temps par curiosité quand même,

Les visuels informatiques (je connais le sujet, c'est mon boulot), sont toujours très courts et ils doivent "percuter"!
Sur la musique classique, c'est très très difficile !...(en général on passe des visuels de la nature ou de tableaux connus -genre sur les "Gymnopédies" d'Eric Satie.).
Mais bon, ici sur "l'Arlésienne", trois minutes pour être complètement "dans un rêve", où on commence par un graphisme , pour continuer par du film en flou de Frederi le long de la mer, ensuite à la fin la seule photo choc, du baiser, c'est le rêve complet, là !! (Frederi et Rose), pour terminer par le graphisme du début = Je dis bravo.

J'ai ré-écouté cet AM la vidéo de Nathalie Stutzmann sur les suites, vraiment c'est splendide !

Très joli, très rafraîchissant, beau montage ! Merci.